L’affaire Woerth-Bettencourt

A moins de ne pas habiter en France -ce qui est le cas de plusieurs de nos lecteurs, voire même de nos rédacteurs !-, vous n’avez pas pu passer complètement à côté de l’affaire Woerth/ Bettencourt (« Bettencourt » avec un ‘e’, rien à voir avec Ingrid Betancourt, avec un ‘a’ et un seul ‘t’, qui était jusqu’à l’année dernière l’otage des FARC) qui a agité la fin du mois de juin et le début de juillet.

Cette affaire m’intéresse particulièrement pour plusieurs raisons :

– je croyais qu’Eric Woerth était un type honnête : l’image que j’en avais me venait d’un documentaire dans lequel il était signalé que quand il prenait ses repas de fonction, il payait avec ses propres sous, même quand il avait des invités.

– la façon dont des particuliers se sont exposés et mis en danger pour dénoncer les puissants (on parle ici du gouvernement et des plus grands industriels/ des plus grandes fortunes du pays) me semble héroïque, et la façon dont les médias (à l’exception de quelques-uns) ont soutenu leurs efforts pour ne pas laisser retomber l’affaire et la rendre vraiment visible me parait nécessaire et même vitale pour la démocratie.

– le népotisme qui est révélé là (les petits cadeaux entre gens de bonne société, les passe-droits qu’être proche d’un haut fonctionnaire autorise,…) est déjà hallucinant, mais ce n’est à mon avis que par chance qu’il apparaît : il me paraît évident que Woerth n’est que le malchanceux qui se fait pincer tandis qu’un bon paquet d’autres profite de la même façon sans que ça se sache. Il ne faut donc à mon avis pas laisser étouffer cette histoire sans quoi tous se considèreront d’autant plus autorisés à continuer !

– la façon dont la justice a été saisie de l’affaire me semble aussi révélatrice de ce qu’ont préparé Sarkozy et son gouvernement depuis plusieurs années : si la suppression du juge d’instruction avait déjà été actée, le seul magistrat chargé de l’enquête aurait été celui désigné par le pouvoir, c’est à dire un homme entièrement soumis à l’autorité de l’Etat, et qui n’irait évidemment jamais mettre ses maîtres dans l’embarras. L’affaire Woerth/Bettencourt est l’illustration parfaite de la nécessité qu’il y a à garder un pouvoir judiciaire indépendant.

Qui surveille les gouvernants ? Ce sont les médias qui démasquent les crapules, et la justice qui doit les punir ! Des tas d’affaires sont mises sous le tapis tous les jours, ou bien révélées sans que personne n’y réagisse suffisamment ; mais là avec tous les efforts déployés par les médias, si une affaire aussi hallucinamment énorme que celle-ci ne devait pas avoir de conséquence, je crois vraiment qu’on aurait un gros, gros problème de démocratie en France.

L’été et les vacances judiciaires ont eu tendance à faire disparaître l’affaire du devant de la scène en août, mais pour apporter mon humblissime participation à ce que la justice aille au bout de l’histoire, je poste cet article pour permettre à ceux qui sont déjà passés à autre chose, ceux qui n’ont suivi l’affaire que de loin et à ceux qui veulent juste se rafraîchir la mémoire, de retrouver une synthèse efficace de tout ce qui s’est passé ; je ne vais pas vous faire l’historique moi-même, des journalistes bien plus compétents que moi s’en sont déjà brillamment chargés :

Je vous recommande ainsi la fausse page Facebook de Slate.fr super bien faite aussi bien du point de vue journalistique que satirique ; une lecture facile et amusante et qui permet de bien comprendre l’affaire étape par étape. Franchement, même si vous n’avez rien à carrer de l’affaire, allez voir, c’est vraiment du bon boulot.

Je signale aussi le dossier d’Arrêts sur Images qui en fait une très bonne synthèse, et vous signale cette émission consacrée au sujet, exceptionnellement accessible sans abonnement au site.

Enfin, ces schémas récapitulatifs qui demandent d’avoir déjà un peu compris de quoi il retourne parce que c’est touffu (mais bien foutu (foutu/touffu ha ha)) : sur Mediapart, sur Le Monde.fr, ou moins évidente mais plus réussie graphiquement sur Owni.fr (avoir les noms complets des protagonistes aurait peut-être été moins rigolo, mais ça aurait été plus clair !)

2 réflexions sur “ L’affaire Woerth-Bettencourt ”

  1. Je me souviens que lorsque j’ai écrit mon article sur la burqa, j’avais hésité à le publier : un article politique, sur Memesprit ?!
    Puis je l’avais laissé, me disant qu’après tout, mon texte n’était pas si politique que ça : engagé, oui, un peu, orienté politiquement, pas tant que ça.

    Et bien, la lecture de cet article me donne exactement la même impression.

    D’une part, je suis tout à fait d’accord avec ce qui y est écrit (jusqu’à l’impression un peu réactualisée aujourd’hui que M. Woerth était un type honnête et droit dans ses bottes)

    (Saviez-vous d’ailleurs que l’expression « être droit dans ses bottes » nous vient de l’équitation ? Et saviez-vous que c’est M. Alain Juppé qui a remis cette expression en 1995 au gout du jour alors qu’il est interrogé sur TF1 à propos de son appartement parisien au loyer défiant toute concurrence et de la baisse de loyer qu’il avait demandée pour l’appartement de son fils : « je suis droit dans mes bottes et je crois en la France ». La justice n’avait pas cru en lui et il avait été condamné…)

    D’autre part, je crois qu’effectivement, sans verser dans le sensationnalisme ou pire, le politique-tous-des-pourris, il est absolument indispensable que les travers des personnalités publiques et notamment politiques soient constamment scrutés à la loupe et divulgués – dès lors que cela ne concerne pas leurs vies privées.
    Malgré un tassement de l’affaire, survenue durant la période estivale, je crois que M. Woerth a quelques solides canines journalistiques plantées dans le mollet, et que lui aussi passera un été pourri (encore un lien citant Mediaparts comme média de référence : je vais peut-être m’abonner !).

    Merci pour l’article, et bravo à Slate pour la fausse page facebook, elle est tordante de réalisme.

  2. Akodostef sur

    Pour rebondir sur ton lien : j’avais adoré découvrir le nom de cette association qui n’a pas d’adhérents et qui est présidée par… Eric Woerth : « association pour le soutien de l’action d’Eric Woerth ». Enorme !!!

    D’une part, les comptes de cette association révèlent qu’elle pourrait être bien pratique pour faire disparaître (mais dans les poches de qui donc ?) des sommes conséquentes dans des dépenses purement fictives mais vraisemblables pour une asso normale (« communication », « réceptions »,…). [j’utilise le conditionnel ici, parce que les investigations n’ont pas démontré que les sommes perçues par l’asso aient été effectivement utilisées pour son profit personnel]

    Mais d’autre part, il faut savoir que cette association a aussi le statut de parti politique : une astuce légale mais profondément malhonnête pour récolter des fonds au-delà des limites autorisées pour le financement des partis politiques (le « parti de poche » de Woerth pouvant ainsi recevoir des dons de particuliers pour financer des actions servant les objectifs du « micro-parti » mais profitant en réalité à un vrai « gros » parti : l’UMP en l’occurrence).
    Pour mémoire, la loi sur le financement des partis avait été instaurée pour lutter contre les risques de corruption des hommes politiques. Vouloir contourner cette loi, c’est donc… se sentir gêné par une loi anti-corruption ?

    On notera que Woerth n’est pas le seul à recourir à ce procédé moralement détestable : cette page de Rue89 recense les heureux hommes politiques qui bénéficient du même soutien « associatif ». Ce qui montre clairement que le problème ne se limite pas à Eric Woerth seul, mais à toute une petite clique de puissants qui ne voient pas où est le problème…
    On notera aussi comme tu le remarques Jika que ce n’est pas pour autant une raison pour faire de cette affaire une illustration du « tous pourris », puisqu’on ne trouve que des gros pontes des gros partis de droite dans cette liste ; la plupart des hommes politiques n’y ont donc pas recours, et le PS l’a même interdite dans ses statuts (ce qui est à saluer). Mais c’est pour éviter qu’on en vienne à un système où tout le monde profite de toutes les failles, et pour que le sentiment du « tous pourris » ne se généralise, qu’il faut que ceux qui abusent soient punis lorsqu’ils sont démasqués…

    (pour ce qui est de l’abonnement à Mediapart, profitant de leur popularité actuelle, ils ont lancé une offre « découverte » à 1€ les 15 jours (au lieu de 9€ par mois/90 € par an) pour tenter de convertir les curieux de passage en abonnés fidèles ; ça peut valoir le coup ;) )

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