Les mystères du Trône de Fer – Les mots sont du vent (Thierry Soulard)
Je viens de lire ce livre, écrit par Thierry Soulard, l’un des auteurs du site Lagardedenuit, excellent site dont j’ai déjà recommandé l’excellente encyclopédie wiki à tous les lecteurs de Memesprit qui s’intéressent au Trône de Fer. Le livre se lit très vite, parce qu’il est écrit très simplement donc facile à lire, et parce qu’il est passionnant.
Il s’adresse quand même à la catégorie de fans du Trône de fer qui s’intéressent à l’univers de George Martin au-delà de la seule saga, et qui aiment creuser plus profondément l’histoire qui nous est racontée (les vrais fans, quoi), puisqu’il se propose de nous aider à atteindre le second degré de lecture de la saga, et les secrets qui nous sont révélés par des indices subtils disséminés par G.R.R. Martin au fil de ses histoires.
La série télévisée nous a en effet rendu grossièrement explicites certains sous-entendus subtils des livres (je l’avais presque oublié mais l’homosexualité de Renly Baratheon par exemple, ne m’est apparue à l’époque que quand elle m’a été soulignée par la Garde de nuit : on peut complètement passer à côté si on ne comprend pas les signaux concordants adressés par l’auteur ; dans la série télévisée à l’inverse, tout est largement montré et souligné), et à par ailleurs confirmé certaines révélations qui n’étaient que des thèses avant la série (le livre ne revient d’ailleurs pas sur la Tour de la joie et la véritable ascendance de Jon Snow, par exemple).
Mais il y a encore beaucoup de sous-entendus et de secrets distillés dans l’ensemble de l’œuvre de Martin, qui font apparaître un second degré de lecture sur bien des scènes qu’on a pu lire sans imaginer cette profondeur dans l’écriture : Thierry Soulard nous rappelle ainsi que Martin appartient à cette école d’écrivains qui considèrent que le récit doit montrer les choses et non pas les dire (show, don’t tell) : c’est alors l’intelligence du lecteur qui lui permet de rassembler les pièces des différents puzzles proposés pour comprendre ce qui lui est raconté. Bon honnêtement, j’avoue que mon intelligence à moi n’avait pas suffi à me faire comprendre quoi que ce soit au-delà du premier niveau de lecture, mais se faire expliquer le second niveau par ceux qui ont réussi (c’est à mon sens une intelligence collective, le fruit des observations et réflexions partagées par la communauté des fans) est souvent passionnant, et donne même l’illusion de se sentir soi-même plus intelligent une fois qu’on l’a compris.
Il y a des choses relativement anecdotiques (vous souvenez vous par exemple que Bran se fait expliquer par deux gamins Frey le jeu du Seigneur du pont, qui veut que ceux qui veulent s’affranchir de l’autorité du « seigneur du pont » juché sur un bout de bois, utilisent l’expression « mayhaps » (possible que), un peu comme au « Jacques a dit » ? Aussi, lorsque Catelyn Stark demande au Lord Frey d’offrir le pain et le sel à son fils Robb et à son armée la veille des Noces Pourpres, et que celui-ci lui répond que « possible qu’il y ait du poisson pour le dîner », c’est un indice de plus pour le lecteur avisé, que les Frey ont l’intention de ne pas respecter la tradition qui veut qu’on ne peut plus causer de tort à un hôte une fois qu’on a partagé avec lui à manger et à boire…). Personnellement, en dépit du côté anecdotique de cette « révélation », c’est le genre d’astuce qui me fait le plus saluer la classe de Martin : la scène reste parfaitement intelligible pour qui n’a pas perçu l’indice, mais tout en sachant que 99,9% des lecteurs passeront à côté, l’auteur plante ainsi des « Easter eggs » enthousiasmants pour ceux qui seront suffisamment malins pour les déceler.
Il y a des choses plus profondes, notamment toute une théorie très étayée sur l’opposition entre une majorité de mestres qui jugent qu’un souverain qui possède un pouvoir démesuré est appelé à devenir un tyran, et une minorité qui pense au contraire que cette puissance surnaturelle est ce qui lui permet d’asseoir son autorité sur tout le monde, et donc d’éviter les guerres incessantes. Les premiers seraient responsables de l’extinction progressive des dragons, l’arme nucléaire du monde du Trône de fer et dont ils pensaient qu’ils donnaient trop de pouvoir à leurs maîtres… Intéressante opposition philosophique sur le fond, et passionnante piste d’une contre-conspiration organisée à partir de l’intégrale 4 (A Feast For Crows en V.O.) par ceux qui veulent faire revenir la magie à Westeros.
Il y a enfin plusieurs chapitres qui permettent de mieux comprendre qui sont les protagonistes du 5e tome de la saga : ceux qui sont à bord de la Farouche Pucelle, le bateau qui transporte Tyrion Lannister, ceux qui participent à l’expédition de Davos dans le Nord (la franchement, chapeau à ceux qui ont vu le truc !) et enfin et surtout un très long chapitre qui explique ce qui se joue autour de Daenerys à Meereen.
J’avoue que ce bouquin a pas mal contribué à me faire estimer à nouveau Martin à sa juste valeur de très grand auteur de fantastique, et à totalement revoir mon jugement sur le 5e tome, que j’avais trouvé essentiellement ennuyeux. Une fois les explications apportées sur ce que j’aurais dû comprendre en lisant, je trouve tout ça beaucoup plus riche et intéressant, et ça m’a donné envie de relire A Dance With Dragons.
Ce cinquième tome marque néanmoins pour moi la limite de la technique d’écriture du « show, don’t tell » : si dans les tomes précédents Martin avait réussi à créer son second niveau de lecture tout en rendant passionnant ce qui se passait au premier, pour ce cinquième tome, sans les clés de lecture on ne comprend pas grand chose à qui est qui, qui fait quoi, et on suit un peu les événements en se demandant où tout ça va (et en trouvant que ça n’avance pas beaucoup, justement).
C’est peut-être la rançon du succès de son œuvre, et le prix de l’assurance qu’il a acquise désormais que ses mystères les plus compliqués seraient analysés, disséqués, jusqu’à en faire émerger le sens caché ?
J’espère en tout cas que Martin saura réécrire des choses aussi fortes que les événements narrés dans les trois premiers tomes, quitte à rendre les choses un peu plus explicites pour les lecteurs qui aiment aussi simplement lire de bonnes histoires au premier degré.
Pour en revenir à Les mystères du Trône de Fer, le livre récapitule les indices récoltés par les fans et les théories qu’ils sont ainsi parvenus à reconstituer à travers leur communauté sur le Net : on peut donc assez probablement retrouver toutes ces histoires sur Internet et s’épargner l’achat du bouquin. Le travail de Thierry Soulard rassemble néanmoins ces précieuses clés de façon construite, et facile d’accès : j’en recommande donc l’achat et la lecture à tous ceux qui s’intéressent aux mystères du monde de G.R.R. Martin, et à tous ceux qui comme moi, sont probablement passés à côté du 5e tome de la saga et qui pourraient le redécouvrir à cette occasion. Ils y trouveront une mine de clés pour mieux comprendre l’œuvre de Martin et l’aimer encore davantage.
D’la balle, est-ce qu’on peut se le procurer en anglais?
J’imagine que non, mais on ne sait jamais…
Ça a l’air passionnant, mais perso je passe ;)
@Stoeffler : ça vient juste de sortir ; je serais surpris qu’ils osent une version anglaise mais vu le succès de la saga, ils pourraient sans doute tenter, d’autant que le livre cite plutôt les passages de l’oeuvre en anglais, les jeux de mots que l’auteur relève ayant souvent plus de pertinence dans le texte original, que traduit par un traducteur qui n’avait pas forcément les clés pour comprendre tous les sous-textes (le livre commence d’ailleurs par un brief sur la traduction française). Quoi qu’il en soit, tu peux le lire en français, ça entretiendra ta langue !