[La Chanson de la semaine] Maggie’s Farm (Rage Against the Machine)

J’étais en fin de lycée quand Rage Against the Machine a commencé sa carrière. Après avoir été intéressé par leur premier album mais l’avoir trouvé trop bruyant pour être audible dans son intégralité (ce que je pense encore aujourd’hui), n’avoir été que moyennement intéressé par le deuxième que je considérais comme une simple resucée du premier (ce qui par contre était stupide, même si je continue de penser qu’il n’y a pas grand chose de bon sur cet album), j’avais complètement lâché l’affaire ensuite (et donc manqué The Battle of Los Angeles, leur meilleur album…).

Ce n’est que des années plus tard, en achetant pratiquement par hasard leur album Renegades à vil prix, que je suis vraiment devenu fan du groupe, d’une façon un peu paradoxale dans la mesure où Renegades est un album… de reprises. Sauf que ce ne sont pas n’importe quelles reprises puisqu’il ne s’agit que de chansons contestataires (ce qui n’est pas tout à fait étonnant s’agissant de RATM), et que le groupe ne s’est pas contenté de changer la sonorité des morceaux comme un vulgaire Marilyn Manson, mais les a complètement refondus pour en faire des morceaux 100% RATM.
Jusqu’à en faire, pour les plus réussis… certains des tous meilleurs morceaux de RATM, tout court.

Et Maggie’s Farm est l’un de ceux-là.

Une chanson de Bob Dylan

Le titre original est du chanteur folk américain Bob Dylan, et honnêtement, ce n’est pas ma tasse de thé (ni l’artiste, ni le titre original). Je vous la fais écouter ici pour vous permettre de vous rendre compte du monde qui sépare les deux versions.

Cette chanson est l’occasion d’aborder la différence de perception d’une œuvre en fonction de son contexte. Les paroles (que je reproduis et traduis un peu plus loin) nous la font classer aujourd’hui sans trop de questions dans la catégorie des chansons contestataires ; à l’époque pourtant (1965), elle apparaît dans le premier album électrique de Bob Dylan, Bringing it all back home, à un moment où faisait rage une guerre de principe entre les tenants de l’amplification électrique et les partisans de l’ « authenticité » d’un son folk sans électrification. L’album marquant un virage moderniste de Dylan, Maggie’s Farm aurait alors (selon la notice Wikipedia) été perçue paradoxalement comme une attaque d’un leader de la contre-culture contre la protest-song folk à la papa, contre sa maison de production et contre la partie « conservatrice » de son public qui attendrait de lui qu’il ne fasse que reproduire ce qui l’a rendu populaire, encore et encore.

Le morceau a aussi fait parler de lui à l’occasion d’un concert apparemment mythique au Newport Folk Festival de 1965, au cours duquel Dylan, invité principal, n’aurait joué que 15 minutes, dont une version de Maggie’s Farm inaudible pour ses détracteurs, la musique trop forte couvrant le chant de Dylan. On peut supposer que là aussi, c’est le contexte qui explique cette perception, les auditeurs de l’époque n’étant pas habitués comme nous pouvons l’être aujourd’hui aux sonorités distordues et surpuissantes des guitares électriques.

Le morceau a refait parler de lui sous le « règne » de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne. La Dame de Fer était l’incarnation toute désignée de cette « Maggie » (diminutif de Margaret) qui soumet son peuple à une exploitation abusive et méprisante au profit des riches et des puissants, comme l’ont souligné quelques reprises de l’époque par The Specials, The Blues Band ou même… U2 !

Un morceau de Rage Against The Machine

La version de RATM s’ouvre par une dissonance aigüe qui résonne comme une alarme, avant que ne tombe le lourd riff de basse qui constitue le corps du morceau. On ne peut plus dès lors que saluer l’efficacité du titre, qui avec son groove lourd et puissant insuffle méchamment l’envie de battre le rythme avec la tête, les poings et les pieds. Le chant de révolte prend toute son ampleur avec cette interprétation âpre du texte, qui souligne l’efficacité de la scansion du rap pour exprimer et susciter la rébellion, par rapport au simple chant des versions précédentes. Voilà qui ferait un hymne idéal pour emmener les participants des Nuits debout ou des manifestations actuelles contre la Loi Travail vers des actions plus… musclées (pour ma part, j’en ai fait ma sonnerie de téléphone portable lorsque ce sont des gens de ma boîte qui m’appellent ^_^).

Le texte

Je vous propose ici le texte de la version de Rage, qui a subi peu de modifications par rapport à l’original de Dylan : la phrase « She’s sixty-eight, but she says she’s twenty-four » était à l’origine « She’s sixty-eight, but she says she’s fifty-four », mais Dylan était lui-même passé à « twenty-four » dans sa version live ; la toute dernière phrase a également été modifiée, de « They say sing while you slave and I just get bored » (« ils nous disent de chanter, pendant qu’on se tue à la tâche, et je commence à en avoir marre ») en « They sing while they slave and I just get bored » (« ils chantent pendant qu’ils se tuent à la tâche, et je commence à en avoir marre »), qui laisse entendre que la critique de Rage s’adresse aussi à ceux qui se contentent de subir leur oppression.
Je propose une traduction de l’ensemble du texte un peu plus bas.

I ain’t gonna work on Maggie’s farm no more
No, I ain’t gonna work on Maggie’s farm no more.
Well, I wake up in the morning
Fold my hands and pray for rain.
I got a head full of ideas
That are drivin’ me insane.
It’s a shame
the way she makes me
scrub the floor.
I ain’t gonna work on, nah
I ain’t gonna work on Maggie’s farm no more.

I ain’t gonna work for Maggie’s brother no more
nah, I ain’t gonna work for Maggie’s brother no more.
Well, he hands you a nickel,
And he hands you a dime
And he asks you with a grin
If you’re havin’ a good time.
Then he fines you every time you slam the door !
I ain’t gonna work for, nah
I ain’t gonna work for Maggie’s brother no more.

I ain’t gonna work for Maggie’s pa no more
No, I ain’t gonna work for Maggie’s pa no more.
Well, he puts his cigar
Out in your face just for kicks.
His bedroom window
It is made out of bricks.
The National Guard stands around his door.
I ain’t gonna work, nah
I ain’t gonna work for Maggie’s pa no more.

I ain’t gonna work for Maggie’s ma no more
No, I ain’t gonna work for Maggie’s ma no more.
Well, she talks to all the servants
About man and God and law
And everybody says
She’s the brains behind Pa.
She’s sixty-eight, but she says she’s twenty-four !
I ain’t gonna work for, nah
I ain’t gonna work for Maggie’s ma no more.

I ain’t gonna work on Maggie’s farm no more
No, I ain’t gonna work on Maggie’s farm no more.
Well I try my best
To be just like I am
But everybody wants you
To be just like them !
They sing while they slave and I just get bored !
I ain’t gonna work on, nah
I ain’t gonna work on Maggie’s farm no more.

Traduction

Je ne travaillerai plus à la ferme de Maggie
Non, je ne travaillerai plus à la ferme de Maggie.
Je me réveille chaque matin
Je joins mes mains et je prie pour qu’il pleuve.
J’ai des tas d’idées dans la tête
Qui sont en train de me rendre fou
C’est une humiliation
La façon dont elle me fait
Récurer le sol.
Je ne travaillerai plus, non,
Je ne travaillerai plus à la ferme de Maggie.

Je ne travaillerai plus pour le frère de Maggie
Non, je ne travaillerai plus pour le frère de Maggie.
Il t’offre des piécettes
Parfois une pièce un peu plus grosse
Et il te demande avec un sourire
Si tout se passe bien
Et ensuite il te donne une amende chaque fois que tu claques la porte !
Je ne travaillerai plus, non,
Je ne travaillerai plus pour le frère de Maggie.

Je ne travaillerai plus pour le p’pa de Maggie
Non, je ne travaillerai plus pour le p’pa de Maggie.
Il écrase son cigare
Sur ton visage juste pour le plaisir
La fenêtre de sa chambre
Est murée par des briques
La Garde Nationale est de faction devant sa porte.
Je ne travaillerai plus, non,
Je ne travaillerai plus pour le p’pa de Maggie.

Je ne travaillerai plus pour la m’man de Maggie
Non, je ne travaillerai plus pour la m’man de Maggie.
Elle parle à tous les serviteurs
De l’homme, de Dieu et de la loi
Et tout le monde dit
Que c’est elle qui dirige P’pa.
Elle a soixante-huit ans, mais elle dit qu’elle en a vingt-quatre !
Je ne travaillerai plus, non,
Je ne travaillerai plus pour la m’man de Maggie.

Je ne travaillerai plus à la ferme de Maggie
Non, je ne travaillerai plus à la ferme de Maggie.
Moi j’essaye de mon mieux
D’être tel que je suis
Mais ce que tout le monde veut
C’est qu’on soit exactement comme eux !
Ils chantent pendant qu’ils se tuent à la tâche, et j’en ai marre !
Je ne travaillerai plus, non,
Je ne travaillerai plus à la ferme de Maggie.

Et maintenant ?

Et Rage Against the Machine, d’ailleurs, que font-ils aujourd’hui ? Je l’apprends en préparant cet article : ils pourraient bien être sur le point de revenir à l’action, avec un supergroupe, Prophets of Rage, qui rassemblerait les instrumentistes de RATM, avec Chuck-D de Public Enemy et B-Real de Cypress Hill au micro !  Le compte à rebours du site vise le 1er juin, je suis curieux d’entendre ce que ça va donner.

5 réflexions sur “ [La Chanson de la semaine] Maggie’s Farm (Rage Against the Machine) ”

  1. Stoeffler
    Stoeffler sur

    Bien cool la photo de la « couverture »!

    Incontestablement, cet album est bourre de chansons terribles et Maggie’s Farm est l’une d’entre elle et je suis bien content de voir que tu lui as consacree quelques lignes meritees.
    Je retourne regulierement ecouter l’album Renegades.

    A noter egalement qu’en 2008, Zach de La Rocha (chanteur de RATM) and Jon Theodore (Mars Volta and maintenant QOTSA) ont unis leurs efforts pour un EP sous le nom One Day as a Lion.
    Le reste du groupe a forme Audioslave (2001 a 2007) avec Chris Cornell, chanteur de Soudngarden.

    Content de voir que d’autres projets sont en cours.

  2. Akodostef sur

    J’ai eu du mal à choisir le morceau de Rage dont je voulais le plus parler… Je pense que je reviendrai sur d’autres titres (No Shelter, au moins).
    Pour les projets alternatifs, j’ai vu ça effectivement. Audioslave ne m’a vraiment pas convaincu (c’est Cornell qui a laissé sa marque sur le style du groupe, il ne reste rien de RATM et ça aurait aussi bien pu être trois autres pimpins aux instrus ça aurait été pareil), mais je n’ai pas encore entendu One day as a lion, je vais aller jeter une oreille :)

  3. Stoeffler
    Stoeffler sur

    Ah, tiens, j’ai pas la version de l’album avec No Shelter – je crois qu’initalement le titre etait sur la BO de Godzilla.

    Microphone Fiend, Renegades, I’m Housin’ et How I could just kill a man sont egalement de tres bons morceaux ^^

  4. Akodostef sur

    Oui oui, No Shelter est sur la BO de Godzilla, justement il y a toute une histoire à raconter avec ce morceau, c’est quand même énorme d’avoir réussi à placer un titre qui attaque la façon dont l’industrie de l’entertainment éteint nos cerveaux, sur une BO de blockbuster !
    Renegades faisait aussi partie des candidats pour un article, le morceau est génial mais j’ai moins de choses à en dire, sinon que là aussi le morceau est complètement réinstrumentalisé, et de façon magistrale :)
    J’aime beaucoup Microphone Fiend et Housin’ mais là par contre je n’ai rien à raconter du tout ^_^

  5. Stoeffler
    Stoeffler sur

    Est-il d’actualité de rappeler que Bob Dylan a recu le Prix Nobel de litterature cette année 2016?
    A quand le meme destin pour le groupe RATM? J’attends avec impatience :-)

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