The Princess and the Queen & The Rogue Prince (George R.R. Martin)

Les fans de la saga du Trône de Fer / Game of Thrones, qui ont dû attendre 5, puis 6 ans (et maintenant déjà trois), pour lire la suite des péripéties de leurs personnages favoris et qui en font régulièrement le reproche à George R.R. Martin, ont souvent l’impression que l’auteur n’est pas très productif… Une erreur et une injustice cruelle : outre qu’il collabore à la production de la série à succès d’HBO adaptée de ses livres, il a continué à travailler en parallèle sur d’autres projets (la série de nouvelles Wild Cards, notamment)… et écrit aussi d’autres histoires courtes, dont The Princess and the Queen, publiée dans l’anthologie Dangerous Women et The Rogue Prince, paru dans le recueil Rogues, les deux nouvelles dont je vais vous parler aujourd’hui.

L’action de The Princess and The Queen se déroule bien avant les événements de la saga d’A Song of Ice and Fire, en 129 (près de 170 ans avant l’histoire principale, donc), à l’époque où la dynastie des Targaryen, confortablement assise, gouverne Westeros depuis des générations sans contestation, forte de ses dragons qui lui assurent une puissance militaire insurmontable. Le roi Viserys Targaryen vient de mourir, après avoir désigné sa fille Rhaenyra, née d’un premier mariage, comme devant lui succéder sur le Trône de Fer. Problème : Rhaenyra est une femme, et Viserys a eu des fils d’un second mariage. Les Noirs (qui prennent le parti de la Reine Rhaenyra, puisqu’elle est celle qui fut désignée par le roi défunt) vont donc affronter les Verts (qui prennent le parti du Roi Aegon II, premier héritier mâle et donc seul successeur légitime selon les tenants de la tradition de succession classique) ; les affrontements se feront dans un premier temps par la constitution d’alliances et des jeux d’intrigues pour rassembler la plus grande part du royaume dans son camp, puis à partir du moment où le sang va couler, ce sera la guerre ouverte, qui va coûter très cher à la dynastie Targaryen, à la fois en termes de membres de la lignée royale, d’hommes, et surtout… de dragons, car à cette époque, chaque prince et princesse possède son propre dragon, qu’il est seul capable de monter, et qui change considérablement l’équilibre des batailles auquel chacun participe. C’est l’épisode majeur que l’Histoire a retenu sous le nom de « Danse des dragons », dont les lecteurs attentifs ont déjà entendu parler par bribes au fil des chapitres du Trône de Fer, mais sans beaucoup de détails.

A la différence des chapitres du Trône de Fer, ce récit a la particularité d’être raconté à la troisième personne par un tiers, l’Archimestre Gyldayn, plutôt que du point de vue du personnage central. Ce mode d’écriture a l’avantage de laisser leur aura de légende à certains événements épiques, dont la description basée sur ce que les gens ont amplifié, rendu plus monstrueux ou embelli, prend une couleur plus fantastique que la description littérale qui aurait pu en être faite du point de vue  des protagonistes au cœur de l’action. De même certains événements peuvent être laissés inexpliqués, ou éclairés par des interprétations divergentes selon qu’elles viennent d’une source ou d’une autre, que le narrateur évoque sans donner davantage de crédibilité à l’une ou l’autre.

Le problème en contrepartie de cette description distanciée, c’est que le texte est du coup plutôt aride, et que les événements se succèdent en une litanie essentiellement dépouillée d’émotion. C’est là le gros reproche que je ferai à cette nouvelle, par ailleurs intéressante à lire : racontée sans parti pris et sans s’attarder sur aucun personnage, elle rend ces événements -pourtant majeurs pour les protagonistes- sans enjeu pour le lecteur : aucun des deux camps ne donne envie de le voir triompher, et en dépit de quelques actes héroïques individuels ou de décisions stratégiques ou diplomatiques admirables ou déplorables, on reste globalement assez indifférent à la question de savoir qui va l’emporter… c’est très dommage (car ce qui rend si insupportables les coups du sort dont sont victimes les Stark dans le Trône de Fer par exemple, c’est l’attachement que l’auteur nous fait d’abord éprouver pour ses personnages).

Ces deux nouvelles donneront également des maux de tête à ceux des lecteurs qui trouvent qu’il y a trop de personnages dans le Trône de Fer et qui n’arrivent à retenir les noms que des quelques protagonistes principaux (jusqu’à ce qu’ils meurent, hin hin hin) : ici, non seulement il y a beaucoup de personnages (dont beaucoup qui comme dans le reste de l’œuvre de Martin n’apparaissent que le temps d’une action marquante), mais en plus comme ce sont des Targaryens, ils portent tous des prénoms d’inspiration valyrienne, aux consonances très (trop) semblables : il faut donc être attentif pour toujours distinguer de qui on parle lorsque entrent en scène les princes Daemon, Aegon, Daeron, Aemond, ou chez les femmes Rhaenyra, Rhaenys, Rhaena ou Laena… On n’en est pas au point des Hizdar zo Loraq, Skahaz mo Kandaq et Yurkhaz zo Yunzak du 5e Tome du Trône de Fer, m’enfin bon…

Dans The Rogue Prince, G.R.R. Martin reprend le fil de l’histoire de The Princess and the Queen… à rebours : si on retrouve en effet dans The Rogue Prince la plupart des personnages majeurs évoqués dans The Princess & The Queen, ce second récit commence en fait plus de vingt années plus tôt (et constitue donc une préquelle).

Le recueil Rogues dans lequel cette histoire apparaît rassemble des nouvelles inspirées du thème du « rogue » (qu’on pourrait traduire par « voyou », « hors-la-loi ») : The Rogue Prince prétend ainsi présenter plus en profondeur Aemond Targaryen (frère indiscipliné du roi Viserys qu’on a vu dans The Princess & The Queen prendre le parti de Rhaenyra dans la guerre fratricide de la « Danse des Dragons »), ses frasques amoureuses, sa vie dissolue et aventureuse.

En lisant cette histoire-ci après la première, on se demande un peu pourquoi Martin les a publiées dans cet ordre : l’essentiel de l’histoire tenait quand même dans The Princess & The Queen, d’ailleurs beaucoup plus riche en rebondissements et événements importants ; The Rogue Prince échoue donc lui aussi à nous attacher à ces personnages dont on a suivi la chute dans The Princess & The Queen, et ne parvient malheureusement pas à nous faire ressentir davantage d’empathie pour eux a posteriori… Bref, c’est une histoire un peu courte et qui arrive un peu comme un cheveu sur la soupe en venant nous raconter les prémisses pas follement passionnantes d’une histoire déjà dite (et elle-même déjà pas excessivement excitante), autour de personnages qui manquent de chair.

En fait, je ne crois pas que The Rogue Prince soit un récit satisfaisant en lui-même, et que l’auteur avait prévu dès le départ de publier ces deux histoires comme elles l’ont été. Mon impression est que Martin s’est rendu compte des faiblesses de son récit de la « Danse des Dragons » et a voulu l’étoffer en donnant un peu plus de background aux personnages principaux pour laisser au lecteur une chance de s’attacher à eux plutôt que de les faire apparaître puis disparaître comme autant de vignettes. Je sens que les deux parties de l’histoire seront rassemblées –dans le bon ordre cette fois- pour former un récit plus achevé et cohérent de la « Danse des Dragons » dans Fire and Blood, le recueil d’histoires que Martin a prévu de consacrer à la dynastie Targaryen une fois A Song of Ice and Fire achevé ; pour le coup, ce sont les lecteurs qui découvriront cette histoire mieux racontée dans ce contexte qui auront de la chance, plutôt que ceux qui auront pu lire les textes individuels avant tout le monde…

Ceux qui attendent impatiemment The Winds of Winter, le Tome 6 du Trône de Fer, en voudront probablement à George Martin de « gâcher » son temps à écrire ces nouvelles de moindre importance au lieu de se consacrer à son œuvre majeure, mais pour le lecteur passionné par l’univers du Trône de Fer, ici comme dans les Aventures de Dunk & L’Oeuf  (globalement plus réussies que ces deux histoires-ci, quand même), ces explorations d’un riche passé, et la découverte approfondie d’événements qui ont contribué à forger le monde tel que nous l’avons découvert avec le Trône de Fer, restent intéressantes et personnellement c’est avec plaisir que j’ai lu ces histoires courtes mais à l’intrigue vivante, là où la saga principale, elle, fait essentiellement du sur-place.

Pour résumer, je ne recommande donc pas The Princess and the Queen et The Rogue Prince à tous les lecteurs du Trône de Fer, encore moins à ceux qui ne connaissent que la série, et certainement pas à ceux qui ne connaissent rien de l’univers de George Martin (bon, ça commence à exclure pas mal de monde !) ; mais pour tous ceux qui aiment parcourir les forums ou les pages internet (dont la toujours admirable encyclopédie de La Garde de Nuit) à la recherche de secrets ou de révélations que la simple lecture au premier niveau de l’œuvre ne permet pas de déceler, ces nouvelles valent d’y consacrer les quelques heures qui suffiront à les parcourir (en les lisant dans l’ordre inverse, donc : d’abord The Rogue Prince, puis The Princess and the Queen).

5 réflexions sur “ The Princess and the Queen & The Rogue Prince (George R.R. Martin) ”

  1. Araumisendu sur

    Ces deux textes ne sont qu’un aperçu de textes plus importants qui seront présents dans l’ouvrage « The World of Ice and Fire », qui sortira à la fin de cette année, dans lesquels les éditeurs ont tranché pour en donner un avant-goût au format « nouvelles ». Pour donner un ordre d’idée, le texte de la Princesse et de la Reine fait un total de 80 000 signes. La version présentée n’en fait que 30 000. D’où l’effet de survol de certains personnages et de contraction des évènements.

  2. Akodostef sur

    Tiens, tiens, Araumisendu… Ce nom me dit quelque chose ^_^
    Si j’ai bien lu, ce n’est pas le texte de The Princess & The Queen qui fera 80.000 mots au final, mais le récit complet de la Danse des Dragons ; ma supposition que les deux textes seraient rassemblés en un seul se basait en partie sur cette information, en fait.
    Tu les as lus toi aussi ?

  3. Vortigern sur

    On dirait que la devise de George R.R. Martin est également devenue celle de ce blog (je me fais lyncher si je ne mets pas de smiley ?) …

  4. Akodostef sur

    Han ! Provocation !
    Je rappelle que toi-même, tu as la possibilité d’écrire pour ce blog, hein (et que par ailleurs tu as un paquet de photos à trier pour illustrer mes 7 prochains articles). Alors, zou ! dans ta chambre !

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