Polly (Nirvana)

Le sens caché des chansons… On peut écouter des chansons des dizaines de fois, sans jamais comprendre ce dont elles parlent.

La barrière de la langue peut être une explication, ou au moins une excuse, mais la langue des poètes est de toute façon une langue en soi, faite d’images et de métaphores qui peuvent rendre leur sens littéral confus ou obscur. Les textes demandent alors à celui qui les reçoit un peu de curiosité ou d’attention pour révéler leur sens profond ou l’histoire qu’ils racontent.

Je me suis trouvé face à un texte de ce genre hier, en préparant le prochain concert de l’un de mes groupes, Undercover, avec lequel nous reprenons des tubes en version pseudo-acoustique. Au programme cette fois-là, Polly, de Nirvana. La chanson est publiée à l’origine sur l’album archi-populaire Nevermind (vendu à plus de 30 millions d’exemplaires), mais a surtout été mise en valeur par leur MTV Unplugged in New-York, où, notamment enrichie du son du violoncelle, elle trouvait davantage sa place dans un set acoustique plus sensible et émouvant, qu’au milieu des titres grunges abrasifs de Nevermind.
Polly apparaît également sur la compilation Incesticide dans une version boostée qui transforme la mélancolie de l’original en énergie, et qui dure 1:48 au lieu des 3 minutes de la version « ballade ».

Je m’étais bien rendu compte de l’étrangeté des paroles en les entendant puis en les chantant (voir ci-dessous les paroles en anglais, et la traduction que j’en propose), mais je n’avais jamais été jusqu’à m’interroger sur ce qu’elles racontaient.
Kurt Cobain y incarne à la première personne un personnage qui semble avoir une relation assez malsaine avec l’éponyme Polly, qu’il a l’air de maltraiter, mais qui laisse penser que cette maltraitance n’est qu’un jeu mutuellement consenti.

En réalité, Polly raconte l’histoire vraie d’une jeune américaine de 14 ans, enlevée, violée et torturée en 1987 par un homme qui prétendait la raccompagner chez elle après un concert punk. Le véritable prénom de la jeune fille n’est pas Polly, et il pourrait s’agir une amie du chanteur, avec qui elle a six ans d’écart : il en dit aux Inrockuptibles en 1991 « Polly est une chanson d’amour très personnelle sur le viol. Je devais cela à mon amie. Je devais évacuer le traumatisme ».
Dans la vraie vie, « Polly » serait parvenue à échapper à son agresseur en sautant du camion où il l’avait suspendue à une poulie, avant d’appeler à l’aide. 

Dans la chanson, Cobain imagine sa « Polly » amadouant progressivement le violeur en lui faisant croire qu’elle participe à son jeu malsain, jusqu’à parvenir à lui échapper.
Comme pour leur désagréable Rape me, (personnellement je ne supporte pas cette chanson ; elle n’est peut-être pas destinée à être aimable, mais le fait qu’elle soit devenue très populaire, et le sens forcément ambigu de ce refrain repris en chœur par des masses ravies, me donnent envie de vomir), le récit fait du point de vue du violeur est la source de tous les malentendus possibles. Cobain expliquera -et je le crois sincère- que la chanson est un hommage à la victime et à son courage. Il est sans doute aussi plus subversif d’incarner l’agresseur que d’adopter un point de vue extérieur, et plus original que de se mettre à la place de la victime.
Mais faire chanter ces actes de torture à un public qui n’est pas composé que de belles âmes a pu avoir des conséquences tragiques : Cobain raconte sur le livret d’Incesticide le dégoût que lui inspirent deux hommes condamnés pour avoir violé une femme en lui chantant Polly… Plus nauséeux, tu meurs.

Pour finir sur une note « positive » plutôt que là-dessus, sachez que le violeur de « Polly » purge depuis une peine de prison de deux fois 75 ans (cela faisait 7 ans qu’il avait été libéré après avoir purgé vingt ans au titre d’une première condamnation, lorsqu’il a agressé « Polly »…). Lui au moins ne devrait plus avoir l’occasion de faire de nouvelle victime…

Texte original (traduction un peu plus bas) :

Polly wants a cracker
I think I should get off her first
I think she wants some water
To put out the blow torch

Isn’t me, have a seed
Let me clip your dirty wings
Let me take a ride, cut yourself
Want some help, please myself

Got some rope, you have been told
Promise you, I have been true
Let me take a ride, cut yourself
Want some help, please myself

Polly wants a cracker
Maybe she would like some food
She asked me to untie her
A chase would be nice for a few

(refrain)

Polly said

Polly says her back hurts
She’s just as bored as me
She caught me off my guard
Amazes me the will of instinct

(refrain)

Proposition de traduction :

Polly veut un biscuit
J’imagine que je devrais la libérer de mon poids d’abord
Je crois qu’elle veut de l’eau
Pour éteindre le chalumeau

C’est pas moi, prend ces miettes
Laisse-moi rajuster tes ailes souillées
Laisse-moi faire un tour, mutile-toi
J’ai besoin d’aide, fais-moi plaisir

J’ai de la corde, on t’avait prévenue
Je te promets, je t’ai pas menti
Laisse-moi faire un tour, mutile-toi
J’ai besoin d’aide, fais-moi plaisir

Polly veut un biscuit
Peut-être qu’elle aimerait manger un peu
Elle m’a demandé de la détacher
Elle aimerait que je la pourchasse, pour changer

(refrain)

Polly a dit

Polly dit que son dos la fait souffrir
Elle en a juste marre, comme moi
Elle m’a pris par surprise
Ça m’impressionne, cette volonté de survivre

(refrain)

3 réflexions sur “ Polly (Nirvana) ”

  1. Stoeffler
    Stoeffler sur

    Bon bé c’est la joie, hein?! Ça me rappelle lorsque j’ai posté la chanson de The Magician’s Assistant.

    Sans déconner, aujourd’hui j’ai toujours enormement de mal à comprendre les paroles des chansons lorsque je les ecoute (et pourtant j’ai la pratique de la langue…) et je n’avais pas saisi à quel point cette chanson est malsaine – même si c’est pour choquer, et que le parti pris de Kurt (c’etait mon pote, mec!) a un sens.

    Lq prochaine fois que je réecouterai cela sera avec plus d’attention et d’émotion.

  2. Akodostef sur

    Sur la difficulté à comprendre les paroles des chansons, je dirais qu’il y a grosso modo 4 types de chansons :
    – celles dont le texte ne veut rien dire, ou pas grand-chose. Ça peut être par paresse ou je-m’en-foutisme, mais ça peut être aussi parce que l’auteur privilégie la musicalité des mots à leur sens (et dans ce cas, ça me va).
    – celles qui ne « veulent » littéralement rien dire, mais qui évoquent des images, des ambiances, provoquent des émotions, c’est la branche poétique.
    – celles qui disent les choses de façon à peu près claire (et là on peut aller de la chanson avec un propos clair mais insignifiant, jusqu’à la chanson engagée, militante)
    – et enfin celles qui disent des choses, mais pas de façon littérale, et là le sens de ce qu’elles racontent ne se dévoile qu’à ceux qui y accordent leur attention, et il y a un petit plaisir additionnel quand tu penses avoir compris. Et encore un petit plaisir quand tu peux le partager avec tes amis :)

  3. Nad sur

    Très intéressante ton analyse. Même en français on ne comprend pas toujours le sens caché, comme dans L’aigle noir de Barbara, chanson que je fredonnais petite en trouvant l’oiseau magnifique, rêvant qu’il vienne aussi me voir… Et pourtant je comprenais chaque mot, juste pas pourquoi une musique si dramatique accompagnait des paroles si poétiques… Mais dans Polly la musique ne traduit en rien la torture qu’est en train de décrire Kurt Cobain. C’est d’autant plus trompeur…

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