L’exercice de l’Etat (Pierre Schoeller, 2011)
J’ai eu envie de voir L’exercice de l’État non pas grâce à sa bande-annonce, qui laisse plutôt entrevoir un film français assez classique et/ou un thriller politique tout aussi classique, mais plutôt en en entendant dire beaucoup de bien dans la presse avant sa sortie (eh oui, je suis comme ça, parfois les critiques enthousiastes me filent une allergie de principe contre les films encensés, et parfois elles me donnent à l’inverse envie de voir de quoi il retourne), et puis aussi, surtout, parce que le sujet -la politique, dans ce que son exercice a de concret- m’intéresse.
L’histoire est celle d’un homme politique, Bertrand Saint-Jean, Ministre des Transports dans un gouvernement qu’on suppose plutôt de droite (encore que rien ne le prouve, d’autant que la plupart des dernières privatisations ont été réalisées par des gouvernements de gauche), qui se trouve confronté à la volonté du pouvoir de privatiser les gares. Contrairement à ce qu’on aurait pu supposer, L’exercice de l’Etat n’est ni un documentaire, ni un thriller. Il n’y a pas réellement d’intrigue dans ce film, qui n’est pas construit pour instaurer un quelconque suspense, mais plutôt comme une tranche dans la vie de cet homme politique. Le film donne ainsi à voir ce que cette vie doit avoir d’épuisant, toujours en mouvement (à l’instar de la caméra quand elle suit Saint-Jean), sans jamais accorder de repos : le film commence sur une nuit de sommeil interrompue par la nouvelle d’une catastrophe routière qui impose la présence du ministre sur place ; plus tard, sa conseillère lui lit des documents dans la voiture alors même qu’il est sur le point de piquer du nez et qu’elle l’a bien vu ; enfin, un soir où ce qu’il avait prévu de faire est décommandé, plutôt que de rentrer pépère chez lui, il se trouve une raison de rester dehors jusque très tard dans la nuit (là, on se dit d’ailleurs aussi que ce rythme ne doit pas être facile non plus pour les gens qui l’entourent, et je parle plus des « petites mains » -chauffeurs, gardes du corps- que de ses conseillers). L’image et le rythme du film rendent bien cette sensation d’harassement, et la propagent même par moments au spectateur, éreinté à son tour par tant d’épreuves du quotidien.
Le film pointe aussi le rôle de représentation de l’homme politique. Entendre par là l’importance que prend dans son calendrier la nécessité -médiatique- d’être physiquement présent sur des événements symboliquement importants ; mais aussi, le fait qu’un homme politique, fut-il ministre, n’est finalement qu’un visage dans une machinerie qui fonctionne indépendamment de lui, lui impose ses choix, et peut le remplacer au pied levé par un autre plus docile s’il refuse de se tenir à son rôle. En ce sens, le film est assez décourageant car il donne l’impression d’un système qui suit sa propre mécanique et contre lequel personne ne peut vraiment lutter.
Saint-Jean, notre ministre des transports, est bien un peu connard (ses collaborateurs peuvent courir après les « s’il te plaît » et les « merci »), mais c’est quand même aussi essentiellement un brave type, plutôt sympathique et humain comme permet de le voir sa relation avec son nouveau chauffeur, et qui aimerait pouvoir tenir sa parole et faire ce qu’il pense être le mieux… mais à moins d’accepter de sortir du jeu, c’est impossible et il finit donc systématiquement par plier aux impératifs qu’on lui impose pour rester dans la danse, quitte à faire des crocs-en-jambe au passage pour sauver sa tête.
Sans avoir vocation à être un simple documentaire -l’ambition cinématographique du réalisateur, Pierre Schoeller, en fait réellement un film « de cinéma »-, ce récit d’un moment de la vie d’un homme politique parmi les plus importants du pays est tout à fait crédible. Et les deux acteurs principaux, Olivier Gourmet dans la peau de l’homme politique fatigué, et Michel Blanc dans celle du haut fonctionnaire intègre, admirable d’abnégation et de dévotion à sa fonction, sont impeccables dans leurs rôles respectifs ; moi qui trouve que le jeu d’acteur « à la française » sonne souvent faux, je salue sans réserve la prestation de ces deux-là.
Au final, j’ai vraiment bien aimé L’exercice de l’État, un film qui était ce que j’en attendais, et un peu plus.
celui là j ai bien apprécié surtout gourmet peu connu mais excellent
Bonsoir, billet très synthétique qui donne une idée juste sur ce film. J’ai été contente de savoir que M. Blanc avait reçu le César du meilleur second rôle, il le mérite. C’est un film riche que je vais revoir dès que possible. Merci au DVD. Bonne soirée.
Pour les gens qui aimeraient en lire davantage sur ce film, Tadloiduciné / Dasola (je n’ai pas bien compris qui de vous deux est l’auteur du commentaire précédent) a recensé la presque-intégralité des articles de blogs qui lui sont consacrés, sur cette page : http://dasola.canalblog.com/archives/2012/03/09/23518545.html
Un boulot… impressionnant/ inquiétant ! ^_^
[2ème tentative suite à échanges avec Akodostef]
Bon; sans polémiquer sur les privatisations « à droite et à gauche », je vais me faire un peu l’avocat du diable en rebondissant sur deux remarques que vous faites. Concernant la décision du Ministre de NE PAS rentrer chez lui le soir de son anniversaire de mariage (quand l’opéra est en grève), il me semble que c’est dû au fait qu’il n’y serait PAS « pépère chez lui », mais comme un cheveu sur la soupe au milieu de la foule que sa femme – qui doit bien se débrouiller pour « faire sans lui » à longueur de temps, a convié de son côté à une grande réception. Pour ce qui est des « servitudes » auxquelles doivent se plier les « petites mains », le ministre accorde quand même généreusement un « congé parental » qu’il n’était sans doute pas obligé, légalement, de donner. Et par contre, toujours légalement, on peut quand même supposer que les « heures sup' » impliquent récupérations et paiements… Ou alors on tomberait dans l’illégalité, dans la vraie vie, non?
(s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola
Yep, effectivement tu avais été rangé directement dans les spams, c’est ce qui explique que ta première tentative n’aie jamais été publiée, désolé pour ça.
Pour ce qui est du fond :
– pour la soirée d’anniversaire de mariage, il n’y avait a priori pas de soirée organisée avec des convives, puisque les deux époux auraient dû être à l’extérieur ce soir-là ; le plan étant tombé à l’eau, ils seraient sans doute restés seuls tous les deux (perso, j’aurais été le conjoint, je l’aurais moyennement pris ! ^_^).
– Quant aux « petites mains », on est d’accord que le ministre est plutôt bienveillant à leur égard. Reste qu’elles sont soumises au rythme de vie imposé par le ministre ; ok ils choisissent de faire ce boulot là, ok ils ont très vraisemblablement des contreparties qui valent le coup. Mais ma remarque visait juste à souligner que le film, qui s’intéresse particulièrement à la vie du ministre, évoque néanmoins aussi l’usure que ce métier peut avoir sur ceux qui l’entourent. En gros, tout le monde est claqué !