Never Let Me Go (Mark Romanek, 2010)
Après avoir vu la bande-annonce de Never let me go, de Mark Romanek, j’avais l’impression que ça allait être une bleuette et, franchement, je n’avais aucune envie de voir le film. L’histoire, tirée d’un roman de Kazuo Ichiguro, raconte en trois époques le destin de trois enfants, qui vivent dans un monde dans lequel la société a choisi de créer, d’élever et d’exploiter des « enfants-médicaments » dont les organes seront prélevés au cours de leur (courte) vie pour remplacer ceux d’autres gens « normaux ». Dans la première époque, les trois enfants ont une dizaine d’années et vivent dans l’univers clos d’une école privée dans laquelle on découvre leurs conditions de vie à la fois légèrement a-normales (leur éducation est visiblement un endoctrinement, on leur présente le monde extérieur comme un danger mortel absolu, on leur offre des jouets qui sont des rebuts abîmés,…) et à la fois très ordinaires (la vie de l’école ressemble assez typiquement à ce qu’on peut imaginer de celle d’une pension privée anglaise, et surtout les enfants font preuve entre eux des mêmes méchancetés à l’encontre de ceux qui sont légèrement différents d’eux, et des petites histoires d’amour innocentes y naissent). C’est là qu’une enseignante compatissante -qui sera renvoyée- leur révèle leur terrible destin, que tous, étrangement, semblent accepter passivement. La deuxième partie voit les trois personnages, devenus adolescents, sortir de l’école et découvrir le monde extérieur tout en restant dans une communauté de jeunes adultes qui sont issus d’autres écoles comme la leur (et partagent le même destin, donc). Et la dernière les voit se retrouver quelques années plus tard après qu’ils aient pris des chemins différents, et que deux d’entre eux, malgré leur jeune âge, soient aux portes de la mort après avoir déjà été opérés et prélevés deux fois.
Le film est bien sûr une uchronie, et il n’existe pas d’écoles comme celles-là aujourd’hui (à la fin du film, ce ne sont d’ailleurs plus des écoles, mais des élevages). Son thème est très intéressant, et d’autant plus pertinent qu’en France, on vient juste, dans la vraie vie, de donner naissance à un bébé dont la genèse a été spécialement suivie pour lui permettre de soigner ses frères et soeurs atteints d’une maladie grave. Le film permet de se rendre compte des problèmes éthiques, philosophiques, moraux, auxquels cette avancée technologique pourraient conduire : c’est le genre de film dont on pourrait sortir en ayant envie de réfléchir aux avantages et aux inconvénients de cette solution médicale, et d’en débattre… mais en fait le fil rouge du film est l’histoire d’amour du personnage principal avec le garçon du trio, et ce contexte terrible ne sert donc que de toile de fond au récit : du coup, il n’y a pas vraiment de réflexion sur la question, abordée uniquement du point de vue de la tragédie qu’elle représente pour ces malheureux personnages.
Le choix des acteurs est aussi un problème : ce sont les mêmes qui incarnent à la fois les ados et les jeunes adultes dans les deux époques successives. S’ils sont évidemment tout à fait crédibles en tant qu’adultes (les acteurs ont grosso modo l’âge de leurs personnages), les voir interpréter des adolescents crée un sentiment de fausseté inconfortable. Andrew Garfield sautille en marchant comme s’il avait encore son âme d’enfant, par exemple, mais surtout, le visage de Keira Knightley est trop connu et elle est beaucoup trop âgée pour ce rôle : ça rend l’idée de sa relation avec un ado, bizarre et jamais crédible.
On s’étonne aussi du manque de réalisme de certaines situations : une fois lâchés hors de leur école, aucun des enfants-médicaments ne se révolte contre son sort. Je ne demandais pas The island, hein, je n’étais pas venu voir un film d’action… mais il me semblerait naturel que des gens condamnés à un destin terrible mais libérés du cadre dans lequel ils étaient enfermés jusque là, tentent d’y échapper (et plusieurs voies seraient possibles : en se barrant tout simplement, évidemment, mais aussi en se donnant la mort, ou en « pourrissant » leur corps jusque là préservé de toutes les cochonneries de la vie ordinaire – tabac, alcool, drogues,…). Le livre prend peut-être davantage le temps d’explorer ces facettes de la question, mais je trouve gênant que dans le film tout le monde fasse comme si leur destin était inéluctable sans qu’on nous explique pourquoi (et quant à l’hypothèse que ces enfants puissent considérer que leur rôle est noble, et qu’ils choisissent de l’accomplir par devoir, ce n’est pas abordé non plus).
Le dernier quart d’heure, plus réussi que le reste du film et qui parvient à créer l’émotion, est intéressant en revanche et éclaire rétrospectivement le film d’une nouvelle lumière : l’héroïne s’y demande ce qui les différencie vraiment des autres gens, eux qui savent aussi que leur vie ne sera pas éternelle, et qu’elle sera nécessairement trop courte. La résignation des « enfants-médicaments » à leur sort fait alors résonance à celle des gens ordinaires, qui acceptent passivement la venue inéluctable de la mort, contre laquelle eux non plus ne peuvent rien (et comme me le faisait remarquer Vorti en sortant du ciné, le choix du réalisateur de ne pas trop parler des contraintes qui obligent les personnages à rester sagement « dans les clous », devient alors très pertinent du point de vue de cette métaphore).
Mais bon, là où d’autres films donnent envie de se donner un coup de fouet pour profiter de chaque instant, au lieu de perdre sa vie dans le train-train et les conneries insignifiantes, Never let me go donne plutôt envie de se tuer tout de suite, vu qu’il n’y a aucun espoir… Mélancolique et intimiste, il reste donc avant tout pour moi un film qui devrait plaire aux amateurs d’histoires (d’amour) tragiques, même si sa conclusion assez réussie parvient à lui donner une dimension plus universelle et qui pourrait (devrait ?) toucher chacun de nous.