La Ferme des animaux (George Orwell, 1945)

La ferme des animaux est un grand classique de la littérature occidentale, un livre dont presque tout le monde connait le titre même si tout le monde ne l’a pas lu pour autant. Exactement comme pour Sa majesté des mouches, c’est Stoeffler qui en me le prêtant, m’a donné l’occasion de passer de l’état de « celui qui connaît vaguement » à « celui qui a lu » -et en VO s’il vous plaît, là encore.

L’histoire est celle d’une ferme dont les animaux décident de se révolter ensemble contre leur propriétaire, de prendre le contrôle de la ferme et de la gérer dans un esprit communautaire et égalitaire. Rappelant toutefois que le concept de révolution veut que le mouvement ne s’arrête qu’après avoir effectué une boucle complète (ou plus prosaïquement, que la chose la plus sûre dans une révolution, c’est qu’elle finit toujours par vous revenir dans la gueule) la fable veut que rapidement, certains des animaux commencent à détourner l’idéal de la révolution pour leur propre profit, et finissent par devenir des tyrans tout à fait aussi injustes, cyniques et brutaux que leur ancien maître.

Ce court roman a eu bien du mal à paraître à son époque (1945), car George Orwell ne cachait pas que La ferme des animaux est en vérité une satire ciblant Staline et dénonçant la façon dont les idéaux socialistes étaient détournés et corrompus par la logique du pouvoir antidémocratique des soviétiques ; une dénonciation qui ne se faisait pas trop pour les intellectuels de l’époque, vu le rôle qu’avaient joué les Russes dans la victoire des Alliés durant la 2e Guerre Mondiale. N’allez pas faire d’Orwell un anticommuniste primaire pour autant, il était au contraire un socialiste convaincu, et son dégoût pour les dérives du communisme s’est largement formé lors de son engagement dans la Guerre Civile Espgnole dans les rangs du POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste) : ayant échappé aux purges des communistes cherchant à se débarrasser des anarchistes, il s’aperçut que l’anéantissement du fascisme et la libération de l’Espagne n’étaient en réalité qu’un prétexte pour les différentes factions qui cherchaient à obtenir le contrôle absolu des forces républicaines. La satire est assez limpide aujourd’hui pour qui s’intéresse un peu à l’Histoire, et l’une des vertus du roman est de donner envie de se repencher sur les événements (personnellement, je ne m’y étais plus trop intéressé depuis le lycée…) pour bien comprendre tous les parallèles ; je signale d’ailleurs de ce point de vue que la page wikipedia en français est plus riche que la version en anglais (qui par contre offre plus de détails sur les difficultés éditoriales d’Orwell) et aide à bien remettre les événements en perspective.

Le bouquin d’une façon générale se lit très bien et très rapidement (il fait moins de 150 pages) et j’en recommande donc la lecture, notamment à tous ceux qui hésitent à lire des classiques, à ceux qui s’intéressent à cette période de l’histoire ou au communisme en général, ainsi qu’à ceux qui aiment les fables ; j’aurais bien aimé un poil plus d’humour, d’autant que l’auteur sait parfaitement être drôle (je pense en particulier au rôle du chat, qui m’a bien fait marrer mais qu’on ne voit plus du tout une fois que les vrais ennuis commencent -en même temps quand j’y pense, c’est normal : c’est le chat !). Certains coups des porcs et de leur clique paraissent un peu exagérés, et j’ai régulièrement trouvé les métaphores un peu grosses (le remodelage des devises de l’Animalisme, la façon dont les souvenirs des animaux sont manipulés par Squealer/Brille-babil, leur « ministre de l’information » au point qu’ils en viennent à croire sa version plutôt que celle qu’ils ont vécue,…). Mais après coup, la façon dont les animaux de la ferme se font embobiner sur des trucs invraisemblables ou intolérables, que les dirigeants leur font avaler en usant alternativement de la manipulation psychologique ou de la force m’a rappelé la façon dont NOUS laissons actuellement tous passer les abus de nos gouvernants (oui, j’ai écrit mon article légèrement remonté sur l’affaire Woerth/ Bettencourt pendant que je lisais La ferme des animaux ! 8D ) parce que, négligeant de considérer la situation dans son ensemble, nous ne nous en scandalisons que pendant un temps avant de juger que ces abus, individuellement, ne méritent quand même pas une révolution et qu’on peut bien vivre avec…

La morale de La ferme des animaux (ou plutôt les morales, car le message du roman est multiple : les puissants s’affranchissent des limites qu’ils imposent à leurs inférieurs ; la communication des gouvernants -la propagande- vise à dissiper l’attention et le cas échéant, l’indignation, des gouvernés ;…) restent donc complètement d’actualité, même si sa conclusion n’encourage pas à l’optimisme : se débarrasser d’un mauvais gouvernement n’invite jamais qu’à l’ascension d’un nouveau gouvernement corrompu…

Y a-t-il alors une issue ?…

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