Diane Arbus (Jeu de Paume, 2011)
Je n’aime pas les portraits : je trouve que c’est un format d’œuvre limité, répétitif et sans intérêt.
Et pourtant, j’ai accepté d’aller à l’expo des photos de Diane Arbus (1923-1971) au Jeu de Paume, preuve que je suis ouvert d’esprit (si si). Malheureusement, Diane Arbus est bien une photographe de portraits, et la visite a donc été assez longue pour moi, d’autant que le propos de la photographe n’est pas -au contraire, même- de faire de belles photos, et qu’ici les photos sont donc à la fois techniquement médiocres (Diane Arbus était apparemment insatisfaite de ses appareils photos (ma grand-mère disait : « mauvais ouvrier se plaint de ses outils »)) et artistiquement pauvres (cadrage anodin, absence de style ou d’effet). Et comme ce sont des portraits, il n’y a naturellement pas non plus de fond, ou d’histoire ; à voir les photos sans intérêt se succéder les unes aux autres, on s’échine à trouver une explication dans les cartels qui affichent le titre des œuvres, mais en vain : « Cinq enfants » ; « une femme avec des bigoudis » ; « des nudistes dans leur campement »,… les titres sont la plus plate description de ce que la photo semble montrer. Une citation de l’artiste, au début de l’expo dit : « une photographie est un secret d’un secret : plus elle en dit, moins on en sait. » Aurait-elle dit « Le titre d’une œuvre est un secret d’un secret : plus il en dit, moins on en sait », j’aurais pu être d’accord sur ce parti pris : le titre d’une œuvre en effet, « colore » la façon dont on la voit, dont on l’interprète. Du coup, il peut être parfaitement légitime de choisir de donner un titre très plat à une œuvre pour ne pas en biaiser la lecture. Mais son lapsus parti pris à elle me semble assez atterrant : ses photos sont conçues pour ne rien dire… Pour le coup, je trouve que l’objectif est atteint, et ses photos pour elles-mêmes sont absolument inintéressantes.
L’une des idées de Diane Arbus est de laisser celui qui regarde générer sa propre émotion, sa propre réflexion face aux photos qu’il découvre : la promesse d’un rapport véritablement intime à l’œuvre. C’est pour moi plutôt un signe de paresse artistique qui consiste à balancer des propositions sans se fouler plus que ça, en espérant que certaines rencontrent le succès (et bien sûr, ça peut tout à fait marcher, parce que le succès d’une œuvre ne s’explique pas que par ses qualités propres, mais aussi par la façon dont elle est reçue). C’est d’ailleurs aussi visiblement la philosophie des commissaires de l’exposition, qui assument d’emblée qu’il n’y a pas d’ordre chronologique, thématique, ou autre dans la présentation des œuvres : on laisse soi-disant l’œil du spectateur se créer son propre fil directeur dans l’exposition, ce qui a surtout la qualité notable d’épargner pas mal de travail aux concepteurs de l’expo qui n’auront comme ça pas trop à se casser la tête sur l’organisation de tout ça, l’élaboration d’un discours sur l’œuvre de l’artiste ou l’explication de son propos.
Propos qui en fait s’éclaire sous un jour complètement différent dans l’avant-dernière salle de l’exposition, qui retrace le parcours de l’artiste et qui en quatre citations limpides, permet immédiatement de comprendre le sens de son œuvre, et la rend donc en effet intéressante :
« (…) afin que nous puissions nous demander à nouveau ce qui est véritable et inévitable et possible, et ce que cela veut dire de devenir ce que nous sommes. »
« Chaque différence est aussi une ressemblance : il y a des associations, des groupes, des clubs, des alliances, des milieux pour tout un chacun. »
« Je veux dire que je ne cherche pas simplement à faire la MEILLEURE photo d’elles, je veux en faire plein. »
Car ce que Diane Arbus interroge en fait, c’est notre rapport à la normalité. Le fait que nous tendions vers cette normalité comme vers quelque chose de naturel, alors qu’il s’agit en réalité d’une philosophie totalement construite et qu’il n’y a rien de »naturel » à vouloir ne pas être différent des autres, à vouloir s’assimiler à nos semblables. En mettant en avant des gens « différents », c’est la différence de chaque individu qui est rappelée, et à l’inverse les communautés qui peuvent se créer à partir de différences communes. C’est un propos parfaitement intéressant, et que le travail de Diane Arbus permet effectivement de creuser, mais qui aurait, du coup, plutôt sa place en préambule de l’exposition, qu’à la fin, parce que sans cette mise en contexte, on risque deux types de réactions : l’incompréhension quant à l’intérêt des photos de Diane Arbus (que je continue de juger plastiquement pauvres), ou la moquerie envers ces freaks, ces gens bizarres ou moches. Diane Arbus avait écrit qu’elle aimait passer dans les lieux qui exposaient ses photos et écouter la façon dont les gens y réagissaient : personnellement au cours de cette expo, et compte tenu de l’absence de mise en perspective préalable de son travail, j’ai plutôt assisté à ce genre d’attitude moqueuse chez les spectateurs autour de moi, qui ricanaient en pointant du doigt tel ou tel modèle. Si c’est un comportement qui ne me paraît pas étonnant dans l’absolu, il me semble par contre que c’est un contresens total par rapport au propos de Diane Arbus, qu’un minimum de contextualisation suffirait à éviter.
Par ailleurs, je salue sans réserve les qualités humanistes de ce discours, et son intérêt philosophique ou sociologique ; mais avec les limites (techniques, esthétiques, didactiques,…) que présente le travail de Diane Arbus, mis paradoxalement en relief par les défauts de cette exposition du Jeu de Paume, je ne suis pas sûr que ça en fasse une véritable œuvre artistique, pour autant.
Pas convaincu, quoi.
Exposition du 18 octobre 2011 au 05 février 2012
Quand on y comprend rien, on y comprend rien….