[La Chanson de la semaine] Laisse béton (Renaud)
Activons les machines à remonter le temps cette semaine, et retrouvons l’époque où Renaud Séchan, mieux connu sous le seul patronyme de Renaud, était un artiste revendicatif de gauche et racontait dans ses chansons les galères de la vie en banlieue. Utilisant l’argot comme dans la plupart de ses chansons d’alors, Renaud y mêle cette fois le verlan (bien qu’il ne soit pas le premier chanteur populaire moderne à y recourir : Jacques Dutronc avant lui avait en effet écrit J’avais la vellecère qui zéfait des gueuva en 1971 !), et nous raconte dans Laisse béton l’histoire d’un loubard qui se fait dépouiller fringue par fringue de tout son attirail sur fond de musique vaguement country, jusqu’à la chute qui clôt magistralement ce conte moderne spirituel et drôle. La transcription des paroles suit la vidéo (qui n’est naturellement pas officielle), et je continue de vous en parler un peu ensuite.
Paroles :
J’étais tranquille, j’étais peinard
accoudé au flipper
Le type est entré dans le bar,
a commandé un jambon-beurre,
Il s’est approché de moi,
il m’a regardé comme ça :
“T’as des bottes, mon pote, elles me bottent
J’parie qu’c’est des santiags
Viens faire un tour dans le terrain vague
J’vais t’apprendre un jeu rigolo
à grands coups de chaînes de vélo
J’te fais des bottes à la baston”;
moi, je lui ai dit : “Laisse béton”
Il m’a filé une baigne
Je lui ai filé une torgnole
Il m’a filé une châtaigne
J’lui ai filé mes groles
J’étais tranquille, j’étais peinard
accoudé au comptoir
Le type est entré dans le bar,
a commandé un café noir
Puis il m’a tapé sur l’épaule
Et m’a regardé d’un air drôle
“T’as un blouson, mecton, il est pas bidon,
Moi j’me les gèle sur mon scooter,
avec ça, j’serai un vrai rocker
Viens faire un tour dans la ruelle
J’te montrerai mon Opinel
et j’te chouraverai ton blouson”
Moi, je lui ai dit : “Laisse béton”
Il m’a filé une baigne
Je lui ai filé un marron
Il m’a filé une châtaigne
J’lui ai filé mon blouson
J’étais tranquille, j’étais peinard
Je réparais ma Mobylette
Le type a surgi sur le boulevard
sur sa grosse moto super chouette,
s’est arrêté le long du trottoir
et m’a regardé d’un air bête
“T’as l’même blue jean que James Dean
Tu arrêtes ta frime
J’parie que c’est un vrai Lévi Strauss
Il est carrément pas craignos
Viens faire un tour derrière l’église
Histoire que je te dévalise
à grands coups de ceinturon”
Moi, je lui ai dit : “Laisse béton”
Il m’a filé une baigne
Je lui ai filé une mordale
Il m’a filé une châtaigne
J’lui ai filé mon futal
La morale de cette pauvre histoire, c’est que quand t’es tranquille et peinard,
‘faut pas trop traîner dans les bars
à moins d’être fringué en costard
Quand à la fin d’une chanson
Tu te retrouves à poil, sans tes bottes,
‘Faut avoir de l’imagination
pour trouver une chute rigolote…
Hymne d’un autre temps des loubards de banlieue, Laisse béton a assez logiquement ensuite été remise au goût du jour (c’est à dire transformée en rap, qui a pris la place du rock alternatif chez les zonards mélomanes) et reprise par un authentique loubard de la rue qui lui aussi aime mélanger argot et verlan, le rappeur Mc Jean Gab’1.
Poursuivant cette logique en la poussant même un cran plus loin avec réussite, c’est ensuite R.Wan, l’ancien chanteur de Java, qui mêle rap et musette comme Renaud avait avant lui mélangé verlan et argot -soit un langage moderne et un langage populaire- pour produire une version complètement réécrite de Laisse Béton, mais qui garde intact l’esprit du morceau (et reste d’ailleurs musicalement beaucoup plus proche de l’original, dont il reprend le riff au banjo) en le transposant dans la langue et la rue d’aujourd’hui : Lâche l’affaire. La transcription des paroles suit la vidéo pour vous permettre de comparer les deux textes.
Paroles :
J’étais à la cool, tranquille ça ce passe,
J’sortais d’un rade à la ramasse ;
Le type a surgit dans la place
Sur un scooter, façon Mad Max.
Puis il s’est approché de moi ;
Combat d’regards, j’le sentais pas.
« T’as l’trois quarts ma caille,
C’est pas du Sky !
Moi j’me les gèle sur mon Booster.
Avec ça j’s’rais un vrai rappair.
Alors ma gueule tu la ramènes ;
J’vais t’apprendre à jouer à Tekken.
Files moi ton cuir, j’suis trop vénère »
Moi j’lui ai dit : lâche l’affaire
Il m’a mis un low kick ;
J’ai esquivé : sourire.
L’a enchaîné retourné,
J’lui est filé mon cuir.
J’étais à la cool, tranquille ça ce passe.
J’sortais du rade bouffer un grec.
Le type a surgit sur l’boulevard
Dans un coupé ; l’était pas net.
Puis il s’est approché de moi ;
Combat d’regards, j’le sentais pas.
« Wesh wesh gos’ bô t’as sortit l’futal
A Seagal ; c’est trop d’la balle.
Regarde comme il craint mon baggy ;
Avec le tien, j’s’rais un vrai MC
Viens faire un tour dans ma Merco ;
J’vais t’apprendre c’que c’est qu’un barco.
Tu sais, j’suis croque de ton street-wear
Moi, j’ui ai dit : lâche l’affaire.
M’as fait une balayette ;
J’lui est mis un frontal.
L’a enchaîné coup de tête
J’lui ai filé mon futal.
J’étais à la cool, j’me f’sais zizir ;
J’buvais ma rebix dans l’RER.
Les lascars ont surgit dans l’wagon ;
Ils étaient quinze c’était pas bon.
Puis l’plus stockma s’rapproche de moi ;
Combat d’regards, j’le sentais pas.
« Matte le quidam :
Il a les Air max à Jordan.
Alors blanc bec t’aimes le basket
Ben on va ouèj à ma façon ;
J’vais juste un peu changer les règles :
On est les joueurs, toi t’es l’ballon.
File nous tes pompes, enculé d’ta mère.
Moi, j’ui ai dit : lâche l’affaire.
M’ont mis deux trois queuclas ;
J’ai fait « Ah ouais les mecs ! »
Z’ont sorti un puchka ;
J’ai filé mes baskets.
La morale de c’te pauvre histoire ;
C’est quand t’es tranquille et peinard ;
Faut mieux rester dans les bars ;
Surtout quand tu commences à boire.
Quand à la fin d’une chanson,
Tu t’retrouves à poil en chaussettes ;
Faut avoir d’l’imagination
Pour inventer un bon remake.