Boy A (John Crowley, 2007)
Boy A est étonnamment sorti en 2007 en Angleterre, en 2008 aux Etats-Unis, et seulement en 2009 en France. Ce film de John Crowley, qui s’inspire en partie d’un fait divers survenu en Angleterre dans les années 90 (le meurtre du petit James Bulger, 4 ans, par deux enfants de 10 ans) raconte l’histoire d’un jeune homme, à peine post-ado, qui sort de prison et tente de se réinsérer dans la société. Ayant passé la moitié de sa vie derrière les barreaux, il est naturellement très inadapté, son attitude excessivement timide -celle d’un enfant évoluant dans un monde d’adultes- évoquant presque celle d’un autiste.
La construction du film fait se répondre les deux époques de la vie du héros, renommé Jack Burridge (Andrew Garfield) avec l’accord des services de réinsertion, incarnés par un chaleureux travailleur social, Terry (Peter Mullan), qui accompagne en ami -presque en père- les premiers pas de Jack dans sa nouvelle vie, le protège et le rassure.
On suit ainsi à la fois d’une part la redécouverte par Jack des plaisirs de la vie (les virées avec les copains, la franche amitié avec un collègue, l’amour avec une fille plus mature…) et d’autre part le cheminement de l’enfant qu’il était jusqu’à l’acte qui lui valut la prison (les brimades subies à la maison et sur le chemin de l’école, la rencontre avec un petit marginal qui deviendra son seul ami, jusqu’au moment tragique du meurtre).
Survient ensuite inévitablement le drame (on n’est pas dans un film très gai, même si les moments de libération du personnage font plaisir à voir), lorsque les tabloïds anglais, pistant le meurtrier libéré, finissent par révéler publiquement sa véritable identité, lui faisant perdre son travail, ses amis, puis sa simple liberté, toute l’Angleterre traquant le monstre qu’il était et lui refusant le droit de devenir l’homme neuf qu’il aspire, avec le soutien des services de réinsertion, à devenir.
L’une des grandes qualités du film est de laisser de grosses incertitudes sur le sens de plusieurs scènes, permettant au spectateur de bien percevoir les différentes interprétations des faits que favorise l’ambigüité des événements : Jack qui sauve son collègue agressé par des loubards, est-ce une preuve de son héroïsme et de sa loyauté, ou plutôt de la violence qui reste sous-jacente en lui ? Cette scène où on voit un personnage se faire attraper puis pendre par une bande d’ombres anonymes, est-ce la simple expression de l’angoisse de Jack qui se sent perpétuellement traqué, une vision de son ami et complice, mort en prison officiellement par suicide, ou une véritable prémonition de sa propre mort à venir, qu’on sent inéluctable? La disparition de Michelle, la petite amie de Jack, est-elle une fuite volontaire et définitive, ou bien vient-elle réellement le retrouver sur la jetée à la fin du film ? A-t-il pu, inconsciemment, lui faire réellement du mal et la faire ainsi disparaître ?
Le non-dit permet ainsi à la fois de dénoncer la brutalité du rejet catégorique et unanime dont Jack fait l’objet (le comportement des tabloïds, une particularité qu’on ne doit pas rencontrer dans beaucoup d’autres pays qu’au Royaume-Uni, est en tous cas singulièrement révoltant), et de remettre en question aussi l’angélisme du spectateur qu’encourage le film, qui voudrait qu’on absolve Jack de tout ce qu’il a pu éventuellement faire, lui qui paraît aujourd’hui si fragile, doux et attachant.
C’est donc un film réussi, même si personnellement j’ai été peu ému ; Marion ayant au contraire été très émue et enthousiasmée par le film (pas au point d’écrire elle-même ce billet, notez), je théorise que c’est la personnalité (lire : son apparence) de Jack qui le rend plus particulièrement touchant pour une femme, là où pour un homme (un vrai, un dur, comme moi), ses simagrées le rendent parfois pénible (on a parfois envie de lui coller des tartes pour lui dire de se sortir un peu les doigts du c… mais c’est une réaction qui ne prend naturellement pas en compte le passé du personnage, qui l’a brisé). Mais un bon petit film en tous cas, à voir.