Azteca, Gary Jennings (1980)

C’est Jika qui nous a offert Azteca, un livre dont j’ignorais totalement l’existence mais qui en fait a connu un gros succès depuis sa publication, en… 1980. En nous l’offrant, il le décrivait comme un livre « qu’il regrettait d’avoir déjà lu deux fois, et qu’il aimerait n’avoir jamais lu, pour avoir le plaisir de le relire comme si c’était la première fois ». Fichtre ! Sans aller aussi loin que l’ami Jika, j’avoue que j’ai moi aussi vraiment apprécié ce roman et qu’avant même d’en faire ici la présentation, je vous le recommande.

Le bouquin dépeint la civilisation Aztèque à un moment particulièrement crucial de son histoire, à savoir les dernières décennies (de 1460 à 1530 grosso modo) avant l’arrivée des méchants conquistadores espagnols qui vont décimer les richesses et piller la population, ou l’inverse (encore que…). L’astuce narrative est que tout le récit est fait à la première personne par le narrateur, Mixtli, vieil indigène interrogé par les scribes de l’Inquisiteur Zumarraga (personnage historique réel, premier évêque de Mexico et détenteur du titre assez tordant de « Protecteur des Indiens ») au nom du Roi d’Espagne Charles Quint, curieux de mieux connaître ce peuple exotique qui habitait sa « Nouvelle Espagne » (aujourd’hui essentiellement, le Mexique) avant l’arrivée d’Hernan Cortès et de sa bande. Chaque chapitre est donc introduit par une lettre de l’évêque au Roi, mettant en perspective l’histoire racontée par le « héros » avec sa situation présente de captif méprisé et complètement sous-estimé. L’extraordinaire trajectoire du narrateur nous révèle une civilisation Aztèque souvent inattendue, primitive par certains aspects, mais bien en avance sur les Européens par d’autres (l’hygiène, notamment). Mixtli traverse ainsi les différentes couches sociales dans son ascension (passant de fils d’ouvrier à scribe, puis guerrier renommé, riche marchand, et enfin proche conseiller de l’Empereur Aztèque lui-même), nous permettant de découvrir la structure hiérarchique de la société Aztèque et ses castes. Et dans le même temps,  il parcourt aussi pour son business les routes au nord, au sud et à l’est de la capitale Tenochtitlan (aujourd’hui Mexico), ce qui nous donne à voir la diversité des communautés qui ont partagé le voisinage, et la plus douloureuse partie de l’histoire, des Aztèques.

Le moins qu’on puisse dire d’Azteca, c’est que c’est un livre bien documenté : L’auteur, Gary Jennings, s’est installé au Mexique et a effectué des recherches pendant dix ans dans les bibliothèques et les archives historiques, mais aussi dans la jungle, les déserts et les ruines Aztèques pour écrire son livre. Au tout départ, cette richesse documentaire m’a d’ailleurs paru un peu encombrante, avec des explications trop nombreuses et dont je trouvais qu’elles n’étaient pas toujours utiles à l’histoire, mais ça passe très rapidement : tout ça sert à poser le cadre, et une fois que le lecteur est immergé dans cet univers exotique, on reçoit le reste des nombreuses révélations historiques ou sociologiques de façon beaucoup plus fluide et digeste.

La fameuse Pierre du Soleil, aujourd'hui au Musée d'anthropologie de Mexico

Il y a aussi pas mal de sexe assez cru et plutôt pervers dans les premières aventures de Mixtli, et j’ai eu un peu peur que ce soit comme ça tout le long ; mais là encore, ça me paraît a posteriori parfaitement justifié : d’une part, ça permet de présenter les mœurs sexuelles des Aztèques, et d’autre part, la courbe de l’activité sexuelle

du héros suit très logiquement sa maturation, intense dans sa jeunesse, puis de plus en plus modérée avec l’âge. La question du sexe prend donc de moins en moins d’importance au fur et à mesure de la progression de l’histoire, et n’apparaît plus ensuite qu’occasionnellement, comme un élément ordinaire et bien compréhensible de la vie de Mixtli (ceci dit, de ce que j’ai lu sur le Net en préparant cet article, le fait de mettre autant de cul dans ses bouquins est quand même un travers souvent reproché à l’auteur).

Au final, malgré ses plus de 1000 pages, Azteca est un livre très accrocheur et qui se lit rapidement. Phénomène assez marrant et qui apparemment se produit pour la plupart des lecteurs, quand à la fin du récit arrivent les conquistadors et que sont racontées les batailles, la progression des envahisseurs et la défense des Aztèques, bien qu’on connaisse parfaitement l’issue de cette conquête -à la fois parce qu’on connaît l’Histoire, et parce qu’on sait pertinemment dans quelles circonstances le narrateur raconte sa vie- on se prend à espérer que les choses tournent mieux et que Mixtli et les siens parviennent à repousser l’habile et avide Cortès.

Le format du roman documenté est aussi un moyen d’apprendre de façon ludique et plaisante plein de choses sur une période de l’Histoire et sur un peuple très intéressants, et personnellement j’ai recollé avec beaucoup de plaisir les morceaux de ce que j’avais vu, lu et découvert lors de notre voyage au Mexique, qui prenaient d’un coup une autre dimension (et ça fonctionne probablement très bien dans l’autre sens aussi : visiter le Mexique en reconnaissant la Pierre du Soleil du premier chapitre, les temples de Teotihuacan, etc. doit rendre le voyage encore plus vivant). Ca me donne du coup envie de lire d’autres romans historiques, en espérant qu’ils seront aussi bien ficelés que celui-ci.

Et je signale par ailleurs à ceux qui ont déjà lu et aimé Azteca que celui-ci est en fait le premier d’une série de cinq bouquins : L’automne Aztèque, sur la résistance aztèque après la conquête, apparemment excellent mais épuisé (on peut peut-être le trouver en bibliothèque ?) puis Sang Aztèque, Rage Aztèque et Aztec Fire (celui-ci disponible uniquement en anglais) tous les trois écrits d’après les notes de Jennings mais par deux autres auteurs).

3 réflexions sur “ Azteca, Gary Jennings (1980) ”

  1. Lolo sur

    Bonjour,

    J’ai lu le livre, et je confirme pour la quantité et la perversité des scènes de sexe.
    C’est le gros défaut du bouquin.
    Honnêtement, j’ai failli le jeter à la poubelle de la colère qu’on puisse, à ce point, laisser passer des scènes de sexe aussi crues et mettant en scène des enfants ou de jeunes adolescents. J’ai presque quarante ans, deux enfants, une vie sexuelle épanouie, je suis loin d’être prude, et j’ai été dégoûté par certaines scènes. Vraiment. Ça pourrit le bouquin.

    L’autre critique, pour moi, c’est le comportement complètement anachronique du personnage principal, qui nous est dépend comme un humaniste épicurien plus ou moins opportuniste en affaires, tout ce que vous voulez, mais pas comme un Aztèque. Ce type, c’est pas un Aztèque : Il est plein de pédagogie et de compréhension pour tout ce qui se rapporte sacrifices, par exemple, mais dès que ça le touche, ah, là, il ne rigole plus! Il se transforme en Européen basique, et zigouille l’assistance (d’ailleurs, il ne fait pas que la zigouiller, l’assistance…)! Ridicule. Jamais un Aztèque élevé depuis l’enfance dans ce milieu particulier et difficilement imaginable d’automutilations, de sacrifices quotidiens et massifs (on offrait ses propres enfants en sacrifice, pensez-donc!) réagirait mal en pareil cas.

    Difficile aussi d’imaginer une société à ce point permissive sur le sexe pré-ado… En tout cas, je n’ai jamais rien lu de tel sur les Aztèques.

    Bref, un livre très bien documenté de prime abord, une belle histoire, mais un personnage complètement irréaliste, à la fois trop porté sur le sexe illicite et ambivalent vis à vis des sacrifices (tant que ce sont les autres qui se font zigouiller, il applaudit!). Pas crédible.

    En fait, si j’ai apprécié l’histoire, en général, le script, quoi, je rejette fermement l’apport plus personnel de l’auteur, qui ne peut que refléter son esprit malade.

  2. Gaetan sur

    Quel plaisir de retrouver l’avis de quelqu’un qui a autant apprécié ce livre que soi-même! Je n’ai plus qu’une seule envie, c’est d’aller au mexique et me rendre dans les différents sites mentionnés tout au long de l’histoire.
    C’est un des atouts du livre, de susciter chez le lecteur -qui apprécie ce livre, bien entendu- l’envie d’en apprendre davantage sur son contenu. Tout au long je n’ai cessé d’aller sur le net regarder la statue de Coatlicue (désolé de l’orthographe), le site de Tenochtilan, la géographie du Mexique, la tenue de parade des guerriers-aigles… Et tant d’autres choses.
    Chaque chapitre est remarquablement pensé, dans les détails autant que dans la globalité de l’oeuvre, et l’on en apprend soudain sur un événement que l’on croyait anodin au début. Le rythme du roman est incroyable lui aussi, posé et équilibré, ne tombant jamais dans le gratuit -même si je le concède, l’on ressent une passion de l’auteur envers la sexualité, ce qui ne m’a absolument pas dérangé puisque cela s’inscrit parfaitement dans le contexte. Chaque scène est décrite finement, sans exagération, avec un souci du détail qui confère au génie, à tel point que je me suis intéressé sur la biographie de l’auteur pour savoir comment il s’y était pris pour s’y connaître ainsi sur une période de l’histoire. Il aurait passé douze ans au Mexique avant de se lancer dans l’aventure.
    Bien sûr, ce n’est pas aussi rigoureux qu’un travail d’histoire, et l’on remarque facilement les moments où l’auteur s’est laissé aller dans l’imaginaire, mais le travail de recherche derrière l’écriture se ressent du début à la fin, bien plus que dans beaucoup de romans historiques qui choississent souvent de verser plus dans l’action que dans les descriptions.

    Merci à l’auteur de m’avoir transporté durant 1000 pages dans un univers qui ne m’intéressait presque pas auparavant, et envers lequel j’éprouve une multitude d’interêts qui se prolongeront, je l’espère, à travers d’autres lectures et d’autres voyages. Quelle pure merveille, quel plaisir d’être tombé sur ce livre, je m’en souviendrai très longtemps.

    Curieux commentaire que celui de Lolo, mais bon, tous les goûts sont dans la nature, dit-on. J’ai aussi un enfant, et la première chose que je ferai lorsqu’il sera en âge de lire et de comprendre ce roman, sera de le lui donner à lire. Ça sera l’occasion pour lui d’en apprendre sur l’humanité, la cruauté, et l’extrême finesse artistique d’un peuple des temps anciens. Pour la question du sexe, une seule séquence de pub entre deux parties d’un film sur n’importe quelle chaîne actuelle est bien plus perverse que ce que l’on peut lire dans Azteca. Un seul journal télévisé contient bien plus de monstruosités que tout le roman, selon moi bien évidemment. Mais chacun pense d’après sa propre philosophie, et il faut de tout pour faire un monde.

    Quoi qu’il en soit, je file visiter d’autres pages du site.

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