La Compagnie Noire (Glen Cook)

La Compagnie Noire est le premier livre du cycle du même nom, par l’auteur américain Glen Cook. Il fait partie de ces « grands classiques » de la fantasy dont j’ai souvent entendu dire du bien (à l’instar de L’Assassin Royal, par exemple) sur les forums de jeux sur lesquels il m’arrive de traîner, et je m’étais promis de m’y intéresser un jour, quand j’aurais le temps… et le temps est venu !

Le livre narre les aventures d’une poignée de membres de la Compagnie noire, une armée de mercenaires dans un monde de type médiéval fantastique où la sorcellerie est très, très présente. Le récit est écrit à la première personne du point de vue de Toubib, l’un des officiers (ou presque) de la Compagnie, également chargé de la rédaction de ses annales.

L’une des premières qualités de l’histoire, qui fait sa popularité auprès du public des amateurs de fantasy et qui la fait ranger dans la branche dérivée dite dark fantasy, c’est qu’en tant que mercenaires en campagne dans un monde en guerre, les personnages principaux ne sont donc pas des héros : ils se battent, ils tuent des gens, et même si en centrant l’histoire sur des personnages moins brutaux que le commun de la Compagnie l’auteur nous épargne le récit des pillages, des viols et de la barbarie perpétrée par les soldats du rang, il laisse régulièrement entendre que ces exactions font partie du quotidien inévitable d’une armée en action.
Surtout, la Compagnie se fait enrôler très rapidement par un client qui est en gros ce qu’on qualifierait dans les romans classiques de « méchant » de l’histoire : plusieurs siècles avant le temps présent, deux puissants sorciers, le Dominateur et son épouse, la Dame, avaient soumis les 10 plus puissants magiciens du monde à leur volonté, et usé de cette puissance sans pareille pour établir un empire maléfique sur les peuples du continent ; une force rebelle avait fini par se constituer, et était parvenue à vaincre les sorciers et à les enterrer sous des tumulus protégés magiquement pour en débarrasser le monde… jusqu’à ce qu’un nécromancien ne permette à la Dame et à ses 10 Asservis de s’échapper et de reprendre les rênes de leur empire.
La Compagnie Noire, engagée au service de la Dame par l’un de ses Asservis, se retrouve donc contrainte de livrer bataille pour le cruel et maléfique pouvoir impérial, contre les rebelles censés incarner la défense du peuple, la liberté… le Bien, quoi.

Une couverture bien laide pour la première édition du livre, en 1984

La Compagnie Noire brouille ainsi délibérément les frontières manichéennes classiques du Bien contre le Mal : on ne voit pas les « gentils » accomplir quoi que ce soit qui démontre qu’ils agissent particulièrement pour le Bien, pas plus qu’on ne voit les « méchants » commettre d’atrocités ou se montrer particulièrement mauvais. Ce sont simplement deux factions qui s’affrontent, les serviteurs de la Dame étant seulement entourés d’une aura de terreur du fait de leur puissance. Volesprit, l’Asservi qui engage la Compagnie Noire et l’accompagne ensuite pendant sa campagne, se montre même un employeur bienveillant à plusieurs occasions, et sa personnalité secrète et ambigüe en font le personnage le plus intriguant et séduisant de l’histoire. Les 10 Asservis, qui portent un nom qui illustre leur pouvoir (Volesprit, Transformeur, Tempête,…) ou leur allure (Le Boiteux, Le Pendu,…), vêtus de noir et dissimulant derrière des masques la putréfaction de leur visage (eh… quelques décennies enterré sous un tumulus, ça n’arrange pas la fraîcheur du teint…), apparaissent certes comme des figures ténébreuses et inquiétantes ; mais la Dame, en revanche, s’affiche comme une beauté pure et claire, une physionomie qu’on aurait dans d’autres œuvres attribué à l’incarnation stéréotypée du Bien. Tout n’est qu’apparence et illusion, bien sûr, mais le livre a l’intelligence de porter un regard plus subtil sur nos préconceptions pour les questionner.

…quitte parfois à manquer un peu de vraisemblance : alors qu’il a vu la Dame perpétrer plus tôt un rituel abominable pour briser l’un de leurs ennemis, Toubib décide seulement à la fin du bouquin, suite à un événement majeur mais qui ne montre pas particulièrement sa cruauté -juste son implacabilité, en l’occurrence parfaitement justifiée- que c’en est trop et que la Dame représente vraiment le Mal. Un revirement qui aurait demandé peu de choses pour être crédible, mais qui là se trouve mal amené.

L’illustration du recueil est plus réussie

Un autre défaut de l’histoire tient à sa forme « récit à la première personne ». Comme dans les films tournés en caméra pseudo-subjective, on se demande parfois pourquoi le narrateur est choisi pour participer à l’action, à part pour justifier que l’épisode puisse être raconté. S’il n’y participe pas, difficile de le raconter à la première personne, ok ; j’aurais trouvé plus judicieux pour ma part que Cook trouve une autre forme de narration pour rester dans son concept sans forcer pour autant la participation du médecin de la Compagnie à des actions « coup-de-poing » où sa présence paraît difficile à justifier. Toubib est l’annaliste de la Compagnie, d’accord, mais tous les historiens n’ont pas participé à l’Histoire qu’ils rapportent !
De même, Toubib assiste à un moment-clé à une scène qui devrait lui valoir une exécution immédiate, mais se voit protégé par celui-là même qui ensuite (mais genre : le lendemain matin, quoi) va s’évertuer à l’éliminer par des moyens hasardeux et voyants, quand il aurait pu se débarrasser dans l’instant de son témoin gênant sans le moindre risque et sans attirer l’attention… La survie de Toubib à ce moment du récit est injustifiable, en-dehors du fait qu’elle permet à la narration de se poursuivre avec la voix du même personnage. Encore une fois à mon avis, Cook aurait gagné à s’affranchir de son concept narratif pour le transcender plutôt que de le laisser devenir une contrainte affaiblissant ses moyens de raconter l’histoire : laisser ses personnages principaux mourir est un moyen efficace de renforcer la vraisemblance et la puissance du récit, comme l’ont prouvé George R.R. Martin et Joe Abercrombie, entre autres.

Au final, le livre possède de vrais points forts (l’idée de placer le narrateur du côté du Mal, mais de rendre ce Mal intriguant et ambivalent, le charisme des méchants principaux, les noms évocateurs attribués aux personnages et aux lieux), et il y a aussi des paragraphes d’ambiance assez poétiques -dans le genre « poésie d’un soldat en campagne », quand même ; néanmoins, il y a aussi de sérieuses faiblesses (comme évoqué plus haut), et le livre se conclut sur un épisode tellement téléphoné qu’on espérait depuis la première fois qu’une fameuse prophétie a été évoquée, que l’auteur ne nous ferait pas un coup aussi prévisible et décevant. Il le fait quand même, et ce n’est pas la meilleure façon de quitter un bouquin.
Les qualités de La Compagnie Noire m’ont quand même fait poursuivre la lecture sur le tome suivant –Le Château Noir- dont je ferai peut-être la chronique ici aussi plus tard, et qui lui aussi a de vraies qualités, et de vilains défauts. Je ne regrette pas ma lecture, et comme je l’écrivais en début d’article, ce cycle fait partie des grands classiques du genre : si on aime le genre, on ne peut pas passer à côté.

5 réflexions sur “ La Compagnie Noire (Glen Cook) ”

  1. Stoeffler sur

    J’ai acheté et pour l’instant j’ai enormement de mal avec le style de l’auteur. Il fait des phrases tres courtes, tres tres courtes, sans raison particuliere. Je ne sais pas si ca va durer, ou si c’est un effet de style, mais ca m’ote le plaisir de lecture!

  2. Akodostef sur

    Je me demandais si c’était à cause de la traduction, apparemment pas donc ; je ne suis pas fan du style d’écriture non plus :/ C’est pour rendre le côté « écriture à la première personne, par un type qui reste avant tout un soldat », j’imagine…

  3. Stoeffler sur

    J’ai remarqué des les premieres pages. Je suis a la limite de m’arreter de lire car meme si l’histoire m’intrigue, le style m’enerve vraiment!

  4. Akodostef sur

    C’est surtout au début que c’est dur en fait. Je me souviens de gros problèmes de temps (passages inappropriés du présent au passé simple puis à l’imparfait), mais ensuite ça a disparu : soit je m’y suis fait, soit c’est vraiment l’écriture qui s’améliore (quoique j’ai eu à nouveau ce sentiment au début du deuxième bouquin). Tiens encore un peu ! ;)

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