[La Chanson de la semaine] The Partisan / La Complainte du Partisan

Je vous avais expliqué la semaine dernière que j’avais à l’origine prévu de vous présenter une chanson particulière, mais que j’avais dû repenser la construction de mon article pour le rendre plus digeste ; je vous avais du coup parlé à la place des excellents 16 Horsepower. Maintenant que ces présentations sont faites, je vais pouvoir consacrer cet article à la chanson prévue pour la semaine dernière : The Partisan.

Il se trouve en effet que c’est sur album Low Estate (1997) des 16 Horsepower que j’ai entendu pour la première fois The Partisan, très belle chanson sur laquelle le groupe a eu la bonne idée d’inviter le chanteur de feu-Noir Désir, Bertrand Cantat (les deux groupes se retrouvant autour de leur admiration pour le Gun Club, dont l’influence flagrante chez 16 Horsepower, se ressent aussi clairement sur le premier album de Noir Désir, Veuillez rendre l’âme)*. C’est avec cette excellente version du titre que j’ai découvert The Partisan, et je vous propose de suivre le même parcours.

Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai découvert que cette belle chanson était en fait une reprise. Remontez le temps avec moi, jusqu’en 1969 plus exactement, année où le chanteur et poète Canadien Leonard Cohen avait lui aussi chanté pour la première fois The Partisan dans cette version bilingue qui devait lui assurer un succès international. Là où le Partisan des 16 Horsepower recrée l’atmosphère orageuse et sombre de la guerre et traduit le désespoir de la fuite du héros dans son propre style musical et avec la puissance des voix de ses deux chanteurs, Leonard Cohen en avait proposé une version très proche, mais plus minimaliste, intimiste, douce et triste. Écoutez plutôt :

Écrire un blog est un enrichissement personnel : c’est en préparant cet article que j’ai découvert que Leonard Cohen n’était pas, lui non plus, l’auteur du Partisan, qu’il s’était tellement bien approprié que je ne doutais pourtant pas qu’il fut de lui. Le texte anglais de la chanson avait en fait été écrit presque 30 ans plus tôt par le parolier américain (aujourd’hui oublié) Hy Zaret. L’histoire contée dans The Partisan aurait pu nous mettre sur la piste : la chanson originale a en effet été écrite en pleine 2e Guerre Mondiale (en 1943 plus exactement), depuis Londres, par deux artistes de la Résistance Française, l’écrivain Emmanuel d’Astier de la Vigerie et la musicienne Anna Marly, sous le nom de La Complainte du Partisan. Magie du Net, il est possible d’en entendre une version de l’époque, dans son texte original (que je reproduirais plus bas) :

On se souviendra quand même que Leonard Cohen est à l’origine de la version bilingue, puisque c’est lui qui mêle les vers anglais et français pour la première fois. Et puisqu’on parle des textes, voici la reproduction des paroles originales en français, suivies de la version bilingue. Vous comprendrez que je ne propose pas cette fois de traduction maison ;)

Paroles originales de La Complainte du Partisan en français :

L’ennemi était chez moi
On m’a dit résigne toi
Mais je n’ai pas pu
Et j’ai repris mon arme.

Personne ne m’a demandé
D’où je viens et où je vais
Vous qui le savez
Effacez mon passage.

J’ai changé cent fois de nom
J’ai perdu femme et enfants
Mais j’ai tant d’amis
J’ai la France entière.

Un vieil homme dans un grenier
Pour la nuit nous a cachés
Les soldats l’ont pris
Il est mort sans surprise.

Hier encore nous étions trois
Il ne reste plus que moi
Et je tourne en rond
Dans la prison des frontières.

Le vent passe sur les tombes
La liberté reviendra
On nous oubliera
Nous rentrerons dans l’ombre

Paroles de la version bilingue de Leonard Cohen, reprise par 16 Horsepower et Bertrand Cantat :

When they poured across the border
I was cautioned to surrender,
this I could not do;
I took my gun and vanished.

I have changed my name so often,
I’ve lost my wife and children
but I have many friends,
and some of them are with me.

An old woman gave us shelter,
Kept us hidden in the garret,
then the soldiers came;
she died without a whisper.

There were three of us this morning
I’m the only one this evening
but I must go on;
the frontiers are my prison.

Oh, the wind, the wind is blowing,
through the graves the wind is blowing,
freedom soon will come;
then we’ll come from the shadows.

Les Allemands étaient chez moi,
ils me disent : « Résigne-toi, »
mais je n’ai pas peur;
j’ai repris mon arme.

J’ai changé cent fois de nom,
j’ai perdu femme et enfants
mais j’ai tant d’amis;
j’ai la France entière.

Un vieil homme dans un grenier
pour la nuit nous a cachés,
les Allemands l’ont pris;
il est mort sans surprise.

Oh, the wind, the wind is blowing,
through the graves the wind is blowing,
freedom soon will come;
then we’ll come from the shadows.

A noter : les textes français évoquent soit directement « Les Allemands » (référence directe à la situation dans laquelle la chanson a été écrite à l’origine), soit d’abord « l’ennemi » puis « les soldats », qui rendent La Complainte du Partisan plus universelle. A noter aussi, l' »erreur » (?) de traduction du tout dernier vers : « Nous rentrerons dans l’ombre », traduit par « We’ll come from the shadows » (« Nous sortirons de l’ombre »), qui sont deux idées très différentes (un sentiment d’injustice dans le premier cas, l’humilité ou la mélancolie d’un retour à la normalité ; une libération personnelle, un final plus optimiste et enthousiaste dans le second).

Pour ceux qui voudraient en savoir encore plus sur ce morceau, cette page trace une généalogie plus détaillée de la chanson et propose de nombreux extraits sonores de différentes versions, tandis que cette page-ci remonte encore plus loin à la source de l’œuvre, et produit une interview d’Anna Marly qui évoque les circonstances dans lesquelles elle en a écrit la musique, et le texte dont elle avait imaginé l’accompagner.

Et pour finir en musique, je vous propose d’écouter un enregistrement de très bonne qualité d’une puissante prise live en anglais seul du Partisan par 16 Horsepower :

* Pour l’anecdote, 16 Horsepower et Cantat se sont justement retrouvés plus tard sur une autre reprise, Fire Spirit, en hommage au fameux Gun Club cette fois.

5 réflexions sur “ [La Chanson de la semaine] The Partisan / La Complainte du Partisan ”

  1. Joseph sur

    Ij ne s’agit pas d’une version d’époque mais d’une interprétation des Compagnons de la Chanson des années 50 avec Fred Mella pour soliste
    Cordialement

    PS. On la retrouve sur You Tube

  2. Engué sur

    À noter tout de même que la vraie version, l’originale, ne parle que d’Allemands, pas de soldats ni d’ennemis.
    Et n toute honnêteté je trouve cela dommage d’avoir modifié ces paroles pour en mettre des plus politiquement correctes ; n’importe qui est capable de comprendre qu’elles correspondent à une époque…

  3. Akodostef sur

    Engué, tu parles pour la version des Compagnons de la chanson ? Parce que toutes les versions qui ont suivi ne font pas de mystère sur l’identité des soldats en question, leur nationalité est clairement mentionnée.
    En même temps d’une part, je trouve que ne pas cibler un ennemi en particulier, ça universalise le propos (tant qu’à faire traverser les années à un chant de résistance en le reprenant pour lui éviter l’oubli, autant qu’il soit intemporel et puisse soutenir les résistants de tous temps), et d’autre part, dans les années 50 j’imagine qu’on pouvait vouloir prendre des pincettes pour évoquer un passé récent dont les deux peuples essayaient de guérir.

  4. Higgins sur

    ‘J’ai repris mon Ame’ / ou ‘J’ai repris mon arme? Selon les « parole / lyrics » cela change!

  5. Akodostef sur

    Ça ne serait pas absurde avec « j’ai repris mon âme », mais je suis à peu près totalement certain que la phrase est bien « j’ai repris mon arme » ;)
    La chanson s’appelle « The partisan », souviens-toi : c’est le chant d’un résistant qui a pris le maquis pour lutter contre l’ennemi.

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