L’étrange histoire de Benjamin Button (David Fincher, 2008)
Le principe de l’histoire est connu, puisque ce film a fait un buzz énorme pour tout un tas de raison : il s’agit donc, d’après la nouvelle de Francis Scott Fitzgerald (plus connu pour son roman Gatsby le Magnifique)parue en 1921, de l’histoire d’un homme qui naît vieillard, et qui voit le fil de sa vie s’écouler en sens inverse de celui du commun des mortels, devenant de plus en plus jeune tandis que les années passent.
C’est évidemment le prétexte à des débauches d’effets spéciaux (numériques ou non) pour donner corps à un Brad Pitt archi-vieillard, puis juste vieux, puis plus jeune qu’aujourd’hui, et qui ont généré l’essentiel de la rumeur autour du film. La qualité de l’image, comme toujours chez David Fincher n’est globalement pas mise en cause : c’est soigné et esthétiquement réussi (à part pour les premières scènes de flashback qui nous ramènent, à travers les yeux de la grand-mère mourante (Cate Blanchett, transparente), à l’inauguration de « l’horloge qui allait en sens inverse » : l’excès d’effets (le sépia + le grain abimé + les rayures et le saut de la bande, stop, c’est trop !). On ne peut quand même empêcher le regard d’accrocher sur la bizarrerie des effets numériques, qui ne se fondent pas encore parfaitement dans l’image pourtant très travaillée du film ; mais si je trouve inapproprié d’encenser ce film pour ses effets spéciaux, je pense qu’il serait aussi excessif de le dénigrer pour leur faiblesse relative.
Pour en venir plutôt à l’essentiel -le fond- on pourra louer la façon poétique dont le concept énorme (l’homme qui vieillit à l’envers) permet d’aborder les questions du passage du temps, de la fugacité des instants précieux (les deux amants ne pourront s’aimer que durant une poignée d’années, la scène dans le présent est rendue fragile par l’imminence de l’ouragan Katrina, prêt à déferler sur la Nouvelle-Orléans et, à l’instar du temps (qui passe), à tout ravager en ne laissant que de frêles débris,…), des passages obligatoires de la vie d’un homme (parce qu’il murit en rajeunissant physiquement, Benjamin se trouve plusieurs fois amené à faire des choses qu’un homme de son âge (mental) ou de son âge (physique) aime à faire, et au final, celles-ci ne sont pas toujours très éloignées, comme si les deux phases de sa vie au-delà du point central que représente la maturité, étaient le reflet (déformé uniquement par son aspect physique) l’une de l’autre : l’envie de voir le monde aussi bien quand il est vieil adolescent que jeune sage, par exemple) …
Mais bon, ça, c’était déjà dans le bouquin, en fait ; et c’était une nouvelle, là où le film dure 2h35.
Et 2h35, c’est long, surtout quand il ne se passe rien. A part de rares moments (la vie de matelot de Benjamin, pour l’essentiel), c’est quand même le grand vide en termes d’événements marquants et les scènes anecdotiques s’enchaînent à un rythme bien mollasson : c’est qu’on soigne plutôt l’atmosphère dans ce film, or la gravité du personnage principal, frappé par sa différence, assombrit volontairement le ton du récit ; on est ici dans le registre fantastique, certes, mais pas du tout dans le merveilleux et je suis assez surpris de certaines critiques que j’ai pu lire ici ou là, qui voient dans ce film un hymne à l’Amérique du « Yes we can », vantant l’empathie de Fincher avec l’air du temps ou condamnant sa roublardise.
Rien dans ce film plutôt désenchanté (« désenchanté » m’a paru moins agressif que « barbant ») ne me semble avoir été « calculé » pour coller à la période actuelle, hormis peut-être pour ce qui concerne les effets spéciaux. L’enjeu de tout ça était-il de juste permettre de pousser un peu plus loin encore les limites de la magie des effets spéciaux numériques, en donnant corps à un Brad Pitt reconnaissable aux différents âges de sa vie malgré les transformations qui l’affectent ? Sincèrement, je me pose la question, parce que pour moi le prétexte du film (le vieillissement à l’envers, donc) n’apporte rien du tout au fond de l’histoire, et il n’y a rien là qu’on n’aurait pas pu retrouver dans un film avec un concept moins énorme : durant toute la partie où l’enfant est vieux, l’ostracisme dont il est frappé, ce sentiment d’étrangeté qui le coupe du monde, auraient aussi bien pu être narrés par l’intermédiaire d’un personnage handicapé, ou issu d’une minorité, ou que sais-je encore. On atteint même clairement les limites de la crédibilité du concept quand Benjamin, ayant atteint l’âge de la maturité en même temps que la femme de sa vie (mais en sens inverse, donc), annonce qu’il quitte le foyer parce qu’il ne veut pas être à sa charge : en clair, il a quarante ans, donc encore dix ans avant d’avoir trente ans, vingt ans avant d’en avoir vingt, bref, il y a de quoi profiter encore un peu de la vie avec la femme qu’il est censé aimer. Aucune raison donc de se précipiter pour quitter l’œil du cyclone à part :
1 . si le personnage est hypocrite et souhaite en fait profiter de la jeunesse de son corps pour faire les trucs que font les jeunes de cet âge, ce que peut plus ou moins laisser penser la suite de l’histoire (Benjamin part vivre sac sur le dos en Inde -on est dans les 70’s) mais qui semble franchement incohérent avec l’esprit du reste du film (mais pourrait davantage correspondre au personnage de la nouvelle en revanche, qui se livre à des occupations frivoles et devient une vedette du sport universitaire lorsqu’il gagne en jeunesse physique)
2. si l’idée du personnage qui vieillit à l’envers n’est qu’un argument purement conceptuel et qu’on abandonne la cohérence de l’histoire pour explorer le concept jusqu’au bout.
3. si ce concept n’est qu’un argument marketing pour faire venir des foules qui ne se seraient autrement jamais déplacées pour se voir réciter une morale si banale et suivre une histoire d’amour aussi plate (voire, inexistante : pas la moindre étincelle entre les acteurs à quelque moment du film, et dans la scène au cours de laquelle Benjamin repousse sa belle encore insuffisamment mâture on ne peut qu’abonder en son sens : on a plus envie de coller des tartes à la pimbêche que des baisers sur ses lèvres).
La première solution ne me paraît pas vraisemblable par rapport à l’esprit du film, et au personnage de Benjamin Button qu’a choisi de faire vivre Fincher (et qui de ce que j’ai compris n’est pas exactement le même que celui du livre) ; j’hésite donc entre la 2e et la 3e solution, qui ne sont ni l’une ni l’autre très flatteuses.
Au final donc pour moi, un film esthétiquement réussi mais barbant, et surtout bidon à cause de ce concept énorme et pourtant inutile en termes de récit pendant la première moitié du film, puis absurde pendant le derniers tiers.