Valhalla Rising ( Nicolas Winding Refn – 2010 )
Valhalla Rising ( Le Guerrier Silencieux chez nous pour ensuite être renommé Le Guerrier des ténèbres ) divise. On aime ou on déteste, pas de place pour le juste milieu et les indécis, on ne peut que se forger une opinion tranchée après l’avoir vu. Puisque l’essence même d’une critique est la subjectivité, je plante le décor en vous disant que ce film est pour moi, la plus grosse claque cinématographique que j’ai reçue sur les 10 dernières années peut-être même plus. Je l’érige sur les plus hautes marches de mon panthéon filmographique aux côtés d’Excalibur de John Boorman, Blade Runner, Apocalypse Now, 2001 l’Odyssée de l’espace et Lost Highway. Rien que ça.
Si je dis que ce film divise, c’est tout simplement parce que j’ai lu et entendu tout un tas de choses à son sujet et ce, bien avant que je le vois. Mais aussi parce que le danois Nicolas Winding Refn a déjà fait parler de lui notamment pour la trilogie Pusher et le ( très ) percutant Bronson. Lors de ses sorties médiatiques pour la campagne promotionnelle, NWR n’a cessé de présenter Valhalla Rising comme étant un film de science-fiction mentale. Le parallèle avec 2001 est des plus clairs même si il se dévoile sous une approche plus spirituelle et humaine.
Le prise de risque étant établie, ce n’est pas le genre de film qui se réalise d’une manière conventionnelle. NWR a réécrit plusieurs fois le scénario car ses attentes vis-à-vis de son projet évoluaient. Il le laissera mûrir pendant quelques temps, réalise Bronson et accouchera ensuite de cet ovni cinématographique.
A l’époque peu de temps avant sa sortie en salle, j’avais trouvé l’affiche ma foi somme toute banale frisant même le mauvais et aujourd’hui encore je trouve qu’elle ne valorise pas ce film. Je m’attendais à une énième niaiserie. Puis après avoir visionné le trailer, j’ai compris tout de suite que ce film ferait enfin honneur à la culture viking. Exit les Beowulf tous aussi mauvais les uns que les autres, Le 13e Guerrier bien fade ou encore le ô combien risible Outlander où des vikings s’allient avec un étranger venu de l’espace pour éradiquer un alien, hem….
Sur la toile, l’engouement était partagé mais pas pour les mêmes raisons. Beaucoup ont cru que ce serait un blockbuster mettant en scène un viking faisant couler 2 litres d’hémoglobine à chaque plan pendant 2 heures. Et quelques jours après sa sortie, comme prévu les mauvaises critiques ont fusé de toute part.
Il y a eu ceux qui n’ont rien compris et/ou qui n’en ont pas fait l’effort malgré les avertissements du réalisateur et qui affirment encore aujourd’hui que ce film n’est qu’un enchaînement de plans successifs avec des vrais morceaux de creux dedans. Bien évidemment il n’en est rien, j’y reviendrai plus tard.
Il y a également ceux qui pensaient voir un bon gros film d’action des familles et qui ont crié au scandale. Forcément la bande-annonce avait révélé la quasi-totalité des scènes violentes et si on s’attend à une super production hollywoodienne, ça surprend, c’est sûr.
Et puis dans tout ce fiel, il y a quand même eu des gens qui aimant le cinéma pour sa diversité et sa richesse ont vécu ce film comme une véritable expérience et se sont laissés embarquer dans cette odyssée mystico-spirituelle jusqu’aux confins de la nature humaine sur fond de fresque historique.
Nicolas Winding Refn est parti d’un fait archéologique, lequel étant la découverte d’une pierre runique à Washington dans les années 30 qui après avoir étudiée, révélait l’inscription « Zone dangereuse ». Cette histoire anéantit les leçons d’Histoire dans lesquelles Colomb aurait été le premier à découvrir les Amériques. De ce point de départ, il a osé sortir des sentiers battus qui au lieu de nous emmener dans une énième histoire où l’action serait maître ou tout bêtement raconter l’Histoire telle que l’archéologie nous la montre, NWR a opté pour la science-fiction mystique sous LSD flirtant avec le métaphysique dont l’histoire se décompose en plusieurs chapitres.
Le film débute donc par un plan où la Nature se dévoile dans sa plus brute magnificence. Puissante, dure et pesante. Une époque où la Nature modelait encore les hommes à son image.
Parmi eux, One-eye. Borgne, muet et esclave, il est connu dans toute la région comme étant un homme pouvant faire preuve d’une violence inouïe au point que toutes les précautions sont prises à son égard et que seul un enfant peut l’approcher.
S’affranchissant par lui-même et par la seule manière qu’il connaisse, One-eye accompagné du jeune Are, rejoindra une troupe de combattants convertis au christianisme qui doivent partir pour Jérusalem afin de la reconquérir mais surtout pour des raisons presque inavouées : la gloire et la richesse. S’ensuivra alors une longue et agonisante descente aux enfers lorsqu’ils se perdront en mer pour finalement arriver sur une nouvelle terre, peuplée d’Indiens.
Valhalla Rising c’est l’oxymore vêtu de son plus bel apparat.
Tout y est opposé mais en parfaite symbiose. Minimaliste mais extrêmement profond dû par le sens dégagé par une scène, un plan, un visage.
Au delà d’une esthétique visuelle absolument fabuleuse ( un immense coup de chapeau au directeur de la photographie, Morten Søborg ), notamment sur les plans des paysages, les Indiens qui apparaissent comme par magie ou bien encore les visions prophétiques de One-eye dont le rouge sang prédomine la noirceur environnante. Le vide est matérialisé par les plans d’une Nature dépouillée mais oppressante. Les hommes s’invitant parmi elle, dont chaque plan d’eux est un véritable hommage aux (anti) héros « badass » de Sergio Leone, sur fond de bruit du vent et où s’invite parfois une musique teintée dark ambient. Chaque minutieux détail compte pour le réalisateur et ça se voit.
On peut croire que Mads Mikkelsen a un rôle très simple à jouer vu qu’il est muet, mais en incarnant One-eye, il nous prouve le contraire d’une façon magistrale. Déjà le fait qu’il soit borgne, n’est pas à prendre à la légère. Etant non chrétien, NWR a voulu renforcé le côté païen de son héros en lui donnant cet handicap qui n’en est en fait pas un, puisque dans la mythologie germano nordique, la légende raconte qu’Odin aurait donné son oeil au géant Mimir afin d’avoir accès à la Connaissance universelle. Il s’agit là d’un détail très important vu qu’il ne reste plus que ça pour creuser la psyché de One-eye qui suivra toujours sa propre route qu’on choisisse de le suivre ou non. Are parle en son nom et est sa voix, un peu comme le Christ l’est avec Dieu.
A l’instar de la devinette du Sphinx dans la mythologie grecque, One-eye endossera plusieurs rôles vis à vis des gens et des situations qu’il rencontrera : esclave, démon, prophète, dieu puis enfin homme. Il n’a ni passé, ni présent, ni futur. On ne sait rien de lui ce qui lui donne cette aura de mystère qui, couplée à son charisme font de One-eye un monolithe. Le parallèle avec celui de Kubrick se trouve donc ici.
Cette déclinaison est renforcée par le découpage du film en plusieurs chapitres. Ce découpage sera d’ailleurs la dynamique essentielle du film puisque malgré l’histoire qui relate essentiellement un voyage, ce dernier se veut être comme figé dans le temps. La notion de temps sera uniquement effective lorsque l’on passera d’un chapitre au suivant. La scène où le drakkar est perdu dans la brume nous conforte dans cette optique vu sa longueur qui en est vraiment une ( peut-être le défaut du film mais vu son importance et son impact sur les hommes, on peut pardonner cet excès ).
La dualité religieuse entre la chrétienté et le paganisme est à mon sens le vecteur le plus important du film puisque il amènera le spectateur à réfléchir sur des sujets tout aussi fondamentaux les uns que les autres : la place de l’Homme dans le monde, la guerre notamment celles des religions, le détachement de l’Homme à la Nature, la nature humaine qu’elle soit d’ici ou d’ailleurs, etc. Tous ces sujets se regroupent sous le même toit et thème : la foi. La boucle est bouclée.
Valhalla Rising est clairement un monument du cinéma de par l’expérience hallucinogène qui enrobent des sujets qui sont encore et toujours d’actualité. Une sorte de chemin de croix
Nicolas Winding Refn a réussi son pari très haut la main et de la plus belle des manières. J’ai maintenant hâte de découvrir un de ses prochains films sur lequel il avait dit qu’il voulait allier ses deux passions : le western et la cuisine thaï. Rendez-vous est pris, en attendant NWR travaille sur Drive, l’histoire d’un cascadeur le jour et chauffeur-braqueur la nuit.
Le film passe en ce moment sur Canal, et j’ai donc pu le voir. C’est effectivement une vraie réussite visuelle. J’aime bien l’atmosphère aussi, mais je n’ai quand même pas été transporté comme toi, et je n’y vois notamment pas autant de sens.
C’est en tous cas clairement un film original, et dont je comprends tout à fait qu’il ne puisse pas plaire à tout le monde d’une part, et qu’il puisse devenir culte pour certains d’autre part. A voir, si vous aimez les films contemplatifs, ou si vous aimez les ambiances moyen-âgeuses et/ou nordiques et que vous êtes prêts à un peu d’aventure hors des sentiers battus du genre.
C’est le soucis majeur du film.
Si l’on est pas transporté par le film, malheureusement le spectateur passera à côté de l’un des aspects majeurs du film à savoir le sens des thématiques abordées. Non pas que le spectateur est plus con qu’un autre ( quoique à lire les posts sur Allociné, il y en a un sacré paquet ) mais je pense que c’est typiquement le genre de film que l’on doit dompter avant d’en saisir la quintessence. Après ça se fait plus ou moins rapidement selon l’envie déjà mais aussi selon la sensibilité de chacun.
Est-ce voulu ? Oui sans doute mais cette forme d’accessibilité ne facilite vraiment pas le boulot au spectateur pour apprécier la forme qu’a utilisée le réalisateur pour aborder ses thématiques.
Comme je le soulignais dans l’article, une certaine connaissance de la mythologie nordique aide grandement et soulage même pour apprécier le reste.
En tout cas tu as eu le mérite d’aller jusqu’au bout et de t’en faire une idée, c’est déjà très bien :p
Pour la qualité visuelle, dis toi qu’en HD c’est encore plus un truc de dingue !