The Dark Knight (Christopher Nolan – 2008)

Affiche du film

J’ai mis un peu de temps à rédiger cet article, pour pouvoir récolter les avis de plusieurs personnes qui avaient également vu le film et enrichir ainsi mon propos, et cogiter un peu sur tout ça. L’effet principal aura été que j’ai perdu un peu des sentiments que j’avais en quittant la salle, mais tant pis.

Que penser, donc, de « The Dark Knight », dernier épisode en date des aventures de Batman ?
Plusieurs points positifs, tout d’abord :
Il y a dans le film plusieurs « trouvailles » ingénieuses, essentiellement à attribuer au Joker : la scène d’introduction avec l’élimination successive des complices du casse les uns par les autres ; l’élimination d’un gros bras avec le coup du crayon planté dans une table, le coup de fil à passer quand il est en prison qui est en fait le déclencheur d’un nouveau piège…
 
Le look du Joker est très réussi, au même titre que celui de Double-Face dans un registre différent (le Joker est plus « punk gothique », à la Batman par Frank Miller, tandis que Double-Face est plus « comics », totalement irréaliste dans l’esprit mais irréprochable techniquement à l’image) ; inversement, les gadgets de Batman, rendus plus « réalistes », sont par contre beaucoup moins stylés et pas mal plus laids.
 
L’histoire et les personnages sont intéressants ; la prestation de Heath Ledger en Joker destroy est un succès, même s’il est toujours plus facile de briller avec un rôle haut en couleur comme celui-ci (à ce titre, Christian Bale est d’ailleurs à peu près invisible, sinon qu’on remarque sa voix ridiculement grave en Batman, et qu’on a effectivement envie de lui mettre des claques quand il joue son sale richard –ce qui est le but recherché donc rien à redire pour cette part-ci).
 
Le rythme est soutenu tout au long du film –un peu trop même, on le verra plus loin.
 
La métaphore du film est intéressante : l’omniprésence de la menace du Joker et sa létalité criante en dépit de la modicité des moyens qu’il emploie, sa façon de faire des vies d’innocents l’objet d’un chantage et l’absence de logique qui permette de comprendre et d’anticiper ses choix évoquent forcément la menace terroriste contemporaine. De même, la façon dont l’interventionnisme de Batman suscite l’éveil de la personnalité du Joker qui semble « apparaître » dans cet épisode comme s’il n’avait jamais sévit par le passé et uniquement pour servir de contrepoids à Batman, fait également penser à la réaction que provoque partout dans le monde le volontarisme militaire des américains, mais aussi celui des israéliens ou du gouvernement mexicain engagé depuis peu dans la lutte contre les cartels, pour ne citer que les exemples qui me viennent immédiatement à l’esprit. Tout ça est bien fait et relativement subtil, ce qui ajoute de la richesse au récit, sans l’encombrer. 
 
**
 
Hélas, ces bons points ne suffisent pas à faire un bon film, et comme Double-Face, pas mal de ces éléments positifs s’avèrent avoir un contre-coût (le néologisme est volontaire) paradoxal.
 
J’ai beaucoup évoqué le visuel dans les points ci-dessus, et pour le coup un élément visuel capital pour l’univers de Batman a disparu : Gotham City et tout le cadre gothique. On est du coup dans une atmosphère plus « réaliste » (un film d’action noir, à la Michael Mann) et moins « comics » (et notamment, moins « Batman »). Pour un film qui s’appelle « Le chevalier noir », c’est plutôt malvenu, à mon sens.
 
Le rythme du récit est rapide, et les scènes s’enchaînent sans temps mort… certes. Mais faire un film d’action, ce n’est pas seulement accumuler des scènes d’actions à la suite les unes des autres : la qualité du récit tranche entre le film de base et le bon film d’action. Et force est de constater qu’ici, le récit est affreusement mal construit :
d’une part, parce que c’est trop long ; à la fin, on a hâte que ça finisse (d’autant que la dernière scène d’action, dans la tour, est à la fois inintéressante et incompréhensible visuellement : Christopher Nolan (dont j’adore le Memento par ailleurs, donc je ne suis pas un anti-Nolan primaire) ne sait toujours pas filmer une scène de combat (dommage pour Batman, qui a quand même deux-trois patates à donner dans chaque film…)).
La faute aussi à un trop grand nombre de personnages : on retrouve assez le syndrome « Spiderman 3 » (hou, la référence !), boursouflé par tout ce que l’auteur a voulu coller dedans. Etait-il vraiment indispensable de voir Double-Face dans ce film ? Le personnage du procureur est intéressant pour le récit, mais son double maléfique, franchement ? A la fois incohérent (il menace un gamin innocent mais ne cherche pas vengeance auprès du Joker, responsable évident de ses malheurs) et insignifiant (il meurt finalement après un quart d’heure de bobine), il aurait pu réserver son apparition en tant que méchant pour un prochain opus, l’histoire y aurait gagné.
Quant au méchant asiatique, il encombre l’histoire sans rien y apporter d’intéressant : refaites le montage dans votre tête, vous verrez qu’on aurait pu entièrement se passer de la pseudo-intrigue qui cause son apparition.
 
Et inversement, alors que tous ces éléments inutiles plombent le film, il y a des ellipses incroyables ! La plus choquante pour moi se situe à la fin de l’attaque du Joker chez Bruce Wayne : on est au beau milieu d’une réception donnée dans la tour du riche milliardaire (donc vraisemblablement bien protégée, mais passons), le Joker attaque avec ses hommes, qui se font tous démolir par Batman, mais le Joker jette sa dulcinée par la fenêtre et Batman disparaît à sa suite pour la sauver. Là, on a droit à un échange de répliques bien nazes entre Batman et sa douce, parvenus au sol sans dommage… et on passe à la scène suivante, sans aucun rapport.
Mais le Joker, là, il est pas dans la tour de Bruce Wayne, pendant ce temps ?!! Privé de tous ses copains assommés par le super-héros, dans les hauteurs d’une tour, avec Batman au pied de la tour, on ne devrait pas avoir quand même un petit récit de la façon dont il s’échappe, là ??? Ben, non. Apparemment, Batman ne trouve pas qu’il y a un truc à faire (il a sa copine à draguer, faut dire), et qui veut peut descendre et sortir de la tour sans être inquiété. Brillant !
Ca me rappelle une « analyse » que j’avais entendue à la télé, professée par un jeune mec de banlieue et qui comparait le cinéma français et le cinéma américain : dans le cinéma américain, le héros prend ses clés de voiture, et dans le plan suivant, la voiture démarre ; dans le cinéma français, le type prend ses clés, on le voit sortir de chez lui, rentrer dans sa voiture, mettre la clé… Alors, je ne dis pas que cette « évasion » n’est pas possible, et que le Joker est coincé là sans espoir, mais quand même j’aimerais bien qu’on me raconte comment il s’en sort, plutôt que de considérer que tout ça est si évident que ça en devient aussi totalement inutile au récit que les plans de transition qui le montreraient en train de monter dans sa voiture après avoir pris ses clés… Et ça sans parler des « innocents » coincés à l’étage avec un pur psychopathe : ça intéresse pas Batman d’aller à leur rescousse, quand même ? Ben non, apparemment, ça l’intéresse pas. Ca n’intéresse pas plus le réalisateur, de toutes façons, et visiblement les spectateurs pas plus : que personne parmi les gens avec qui j’ai été voir le film n’aie été choqué par ce foutage de gueule incroyable m’a mis sur le cul ; comme quoi, un montage de bourrin qui balance scène après scène au spectateur jusqu’à ce qu’il ne puisse même plus faire attention à ce qu’on lui envoie dans la tronche, ça peut être une solution pour faire passer ce genre de construction injustifiable… (tiens, je m’énerve tout seul, moi…^_^).
  
Là, encore, c’est une incohérence dans la construction de l’histoire, mais il y a aussi des invraisemblances dans le fond du récit lui-même : parce que, effectivement, l’omniprésence du Joker est une bonne manière d’évoquer la menace permanente ( ?) du terrorisme ; elle n’a en revanche aucun sens dans un monde réaliste (eh ! c’est pas moi qui ai choisi de sortir Batman de Gotham pour l’installer dans une ville plus réelle ! ‘faut assumer ses choix, aussi…), d’autant plus pour un type qui se paie la tronche qu’il a.
Son omniscience aussi est particulièrement agaçante : tendre des pièges pour prendre un ennemi au dépourvu, ok. Mais quand le Joker planifie l’attaque du fourgon transportant supposément Batman, en prévoyant apparemment qu’il va échouer, et se faire enfermer, ce qui lui permettra de déclencher la bombe qu’il a placé dans le ventre d’un complice qu’il s’est également arrangé pour faire arrêter, c’est juste n’importe quoi (sans compter, réalisé-je en me relisant, que le Joker a fait emmener le procureur dans ce fameux endroit bourré d’explosifs… à la suite de l’attaque du fourgon, non ? Si c’est bien ça, comme il a été emmené directement en prison, ça veut dire que le Joker avait prévu que ce ne serait pas vraiment Batman dans le fourgon, et qu’il avait prévu le piège à l’avance avec ses complices – et alors qu’il n’a aucune raison de croire que Dent n’est pas Batman, vu la scène de la tour, durant laquelle Dent a disparu quand Batman est apparu, et les sentiments qu’il avait l’air d’avoir pour Dawes, la petite amie de Dent : bref, une omniscience franchement trop énooooorme pour être crédible).
La scène entière de l’attaque est d’ailleurs d’une belle invraisemblance, quand les poids lourds apparaissent de partout sur la route du convoi dont la logique voudrait qu’elle soit normalement complètement déblayée (ça a d’ailleurs l’air d’être le cas : il n’y a pas un chat dans les rues. Seuls les poids lourds ont eu droit à des sauf-conduits : sympa, non ?), qu’un véhicule en feu a été placé là à l’insu de tous les organisateurs du déplacement, que les méchants ont pu se positionner juste au bon endroit pour intercepter un hélicoptère en vol, grâce à des gars placés des deux côtés de la rue (moi aussi j’étais sûr qu’il passerait dans cette rue : c’est typique des hélicoptères)…
Heureusement que malgré toute sa préparation, une fois parvenu à hauteur du fourgon, le Joker semble avoir oublié comment percer le blindage et balance tous ses tirs de petits calibres, puis de calibres moyens, avant de passer au lourd… Bon, mais alors le Joker, il le veut ce fourgon, ou pas ? Elle est où la cohérence de cette scène au juste ?
Quant à la scène dans laquelle le Joker évoque la capacité de destruction de ses armes soi-disant « du pauvre » (là encore, référence au terrorisme, qui peut faire très mal à partir de peu de choses), c’est une belle escroquerie intellectuelle ! Des moyens limités, ce n’est pas exactement ce qui caractérise le Joker dans ce film, qui utilise des tonnes d’explosifs, des armes à gogo et qui semble n’avoir jamais de mal à trouver une petite quinzaine de sbires pour l’accompagner dans chacun de ses plans (ce que j’aimerais bien qu’on m’explique aussi)…
 
Ah bah voilà, je croyais que je n’avais pas trouvé le film nul en sortant de la séance, ben finalement après avoir écrit tout ça, je reviens sur ma position : ok, il y a des trucs réussis dans ce film, mais quand même, sans aller jusqu’à dire avec Pierre « c’est de la merde en boîte ! », on est bien loin du chef-d’œuvre encensé partout ou presque. Bien, bien loin.

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