A Serious Man (Joel & Ethan Coen, 2009)
Bon, j’écris mes articles dans le désordre en ce moment, puisque là je vais commenter le dernier film que j’ai vu alors que je n’ai pas encore écrit les articles sur une expo et un autre film qu’on a vus plus tôt : vous n’allez plus rien comprendre à ma vie ! Néanmoins, ça tombe bien, c’est plus ou moins le sujet du film dont je vais vous parler aujourd’hui : A serious man, des frères Coen.
L’histoire est celle d’un prof de physique américain juif, honnête mais sans relief, à la fin des années 60 dont la situation, déjà loin d’être enviable (une femme tyrannique, un fils je-m’en-foutiste, une fille qui lui pique de l’argent en douce dans son portefeuille, son frère qui squatte le canapé et la salle de bain familiale depuis des temps immémoriaux et n’envisage apparemment pas de quitter la place, un voisin qui grignotte les limites entre leurs pelouses…), va se dégrader encore un peu plus alors qu’il se retrouve soumis à une série d’épreuves personnelles (sa femme qui demande le divorce et le contraint à quitter la maison pour vivre à l’hôtel, sa titularisation à venir qui pourrait être remise en cause par des lettres anonymes qui le dénigrent adressées au directeur de l’université, un de ses étudiants qui lui remet discrètement une enveloppe pleine d’argent et exige qu’il lui accorde une bonne note à son examen, son frère qui se fait arrêter par la police pour vice…). Il va alors chercher conseil auprès d’un avocat, de trois rabbins, et même auprès de sa voluptueuse mais mutique voisine qui fume la marijuana, sans jamais pouvoir trouver de sens à l’absurdité écrasante de tout ce qui lui arrive.
Si on regarde ce film strictement au premier degré, on y rit occasionnellement : l’absurdité de ce que vit Larry Gopnick (Michael Stuhlbarg, inconnu au cinéma jusque là mais très bien dans le rôle), de la situation dans laquelle le mettent sa femme et son amant en lui assurant qu’il est plus logique que ce soit lui qui quitte la maison familiale, à celle incroyable du père de son étudiant qui le menace d’un procès pour vol de l’argent de son fils s’il ne lui accorde pas une meilleure note mais nie que l’enveloppe aie jamais existé, en passant par les messages contradictoires du directeur de l’Université qui lui filtre des infos sur l’évolution de sa demande de titularisation mais qui ponctue ses révélations de messages assurant qu’il n’a rien dit, ou que Larry doit faire semblant de ne rien savoir… l’ensemble de ce que vit le personnage est tellement délirant quoique parfaitement vraisemblable dans sa normalité (cf la scène dans laquelle le commercial d’une entreprise équivalente à notre bon vieux France Loisirs lui réclame de l’argent parce que des disques lui ont été envoyés du fait même qu’il n’a pas passé commande, via la sélection automatique du mois), qu’on ne peut s’empêcher d’en rire, pas par cruauté, mais plutôt d’incrédulité devant tant de malheurs accumulés. On est par contre assez loin d’une comédie classique et on rit quand même beaucoup moins que dans The Big Lebowski par exemple ou Burn after reading, ce qui est en partie décevant, mais qui est assez typique des films des frères Coen, qui recourent souvent à un humour assez noir et décalé dans des films qui ne sont pas juste construits comme une trame-alibi permettant la bête succession de sketches.
Ceux qui chercheront un sens concret à l’histoire, une logique définitive donnée par les auteurs, seront aussi déçus : A serious man est un peu le Mulholland Drive des Frères Coen, en moins barré mais en plus marrant. Les Frères Coen nous avaient déjà fait le coup dans leur précédent film, No country for old men avec cette ellipse frustrante mais gonflée qui zappait entièrement la scène de baston finale : ici encore le film s’achève par une scène qui n’est pas véritablement une fin, et en tous cas pas une conclusion au sens « universitaire » du terme. Le film commence, par contre, par une citation (« Receive with simplicity everything that happens to you » (« accepte avec simplicité tout ce qui peut t’arriver »), Rashi) qui donne un éclairage particulier au film si on le considère sous cet angle (ce qui n’est pas nécessairement la chose à faire, parce que les Coen aiment bien « piéger » leur spectateur, comme dans Fargo qui commence par un carton annonçant que le film est basé sur une histoire vraie, ce qu’il n’est pas du tout !)
Le message serait alors que quoi qu’il arrive dans sa vie, il faut le prendre avec philosophie : une conception pas tant fataliste mais plutôt optimiste au regard du film, invitant à ne pas forcément se taper la tête contre les murs (ce que fait littéralement le héros en rêve) quand il nous arrive des crasses, mais à plutôt accepter de vivre avec, pour mieux les surmonter.
Après cette citation, suit une scène assez chouette qui peut paraître complètement sans rapport avec le film puisqu’il s’agit d’une sorte de conte fantastique qui se déroule dans un shtetl au XIXe siècle et qui laisse les interrogations du spectateur -et du héros du conte- sans réponse quant au mystère auquel il s’est trouvé confronté. Cette scène-ci vient donner une coloration mystique à ce qui arrive ensuite au héros du film, coloration qui est renforcée par de nombreux indices parsemés au long du film : le fameux tableau du Sacrifice d’Isaac par Le Caravage entrevu dans le cabinet du 3e rabbin, les caractères gravés dans les dents du goy, les deux scènes finales du film qui donnent l’impression que la main de Dieu s’abat sur les personnages, l’un parce qu’il a succombé à la tentation, l’autre parce qu’il est sur le point de le faire, etc.
L’aspect énigmatique de l’existence, et l’impossibilité de comprendre ou de donner un sens à tout ce qui arrive, restent à mon sens le thème majeur du film : le yiddish parlé dans le conte d’introduction donne le ton, mais le choix d’une façon générale de la culture juive comme background pour l’histoire et en particulier l’irruption régulière de vocables en hébreu dans les dialogues pour les rendre plus ésotériques -certains termes religieux étant même suffisamment ésotériques pour que les personnages juifs eux-mêmes ne les connaissent pas – contribuent à rendre l’histoire plus étrange et plus difficile à comprendre pour le spectateur (ceux qui craindraient qu’il s’agisse d’un film de juifs sur les juifs pour les juifs (et s’en sentiraient donc exclus s’ils ne sont pas juifs eux-mêmes) peuvent être rassurés, même si on baigne dans la culture juive ce n’est qu’un élément -certes essentiel- de l’histoire, et leur méconnaissance des rites et de la langue servira au contraire l’efficacité du film). Et ce, sans compter que le film lui-même reste une énigme : il ne se conclut pas vraiment, et on en sort avec plus de questions que de réponses. L’une des morales du film pourrait donc être qu’il n’y a pas forcément de réponse possible qui explique les mystères de la vie… et qu’il faut par conséquent savoir les accepter avec philosophie (et la boucle est bouclée, on revient à la citation du début du film).
Je dois avouer que si le film n’avait pas été des frères Coen, je n’aurais sans doute pas eu envie de le voir : la bande-annonce n’est pas très réussie et le pitch de base de l’histoire n’est pas vraiment enthousiasmant. Pire, si Michel et Marion n’avaient pas décidé d’aller le voir ce samedi, je pense que même l’affection que j’ai pour les films des frères Coen n’aurait sans doute pas suffit à m’emmener le voir au ciné. J’avais donc un a priori pas très favorable, et à la sortie du film le relatif peu de fois où j’avais ri et l’impression d’absence de sens général me faisaient le juger plutôt moyen (10-11 sur 20, quoi). Et pourtant, en y réfléchissant cette nuit (si si) et aujourd’hui en écrivant cet article, je me suis rendu compte des multiples interprétations qu’on peut avoir de plein d’ingrédients de l’histoire et donc de la richesse de réflexions qu’il peut générer : résultat, je le trouve avec un peu de recul franchement pas mal, et je lui colle aujourd’hui un bon 13-14. Chose que je prends comme une grande qualité du film, je l’aime donc aujourd’hui plus qu’hier…
…et bien moins que demain ?
J’avais envie d’aller le voir mais ici, dans mon petit cinema de campagne le film n’a meme pas ete affiche!
Ta critique ne m’a cependant pas decourage de le louer en DVD.
coucou akodo,
ta critique est très intéressante, mais gagnerait selon moi à être raccourcie. Je l’ai lue en 2 fois : une avant avant d’aller voir le film : résultat, je suis allée directement au dernier §, pour extirper l’avis final (ce film vaut-il le coup ?). Après avoir vu le film , j’ai voulu relire ton article dans sa totalité, pour comparer les interprétations et impressions. Et là, je me suis dit : heureusement que je n’ai pas lu la totalité de l’article avant, car tous les détails de l’histoire y sont repris (je n’oserais dire tous les ressorts de l’intrigue). Pour préserver le plaisir de la découverte du film, il vaut mieux pour les lecteurs s’en tenir à un résumé du pitch global du film…. ceci n’empêchant bien entendu pas de rentrer dans l’analyse ou les ressentis. J’ai appris des choses très intéressantes dans ton post, dommage que les infos soient « noyées » dans la masse. C’est bien dommage, car la forme devrait être au service du fonds et non freiner la lecture.
Pour qui elle se prend, elle ? Pas pour une donneuse de leçon, ni pour qqn qui a la science infuse. Juste pour un lecteur internet. Qui picore de l’info, et qui a sans doute moins de 3 mn pour lire un article entre 2 activités. Donc, un lecteur à accrocher (mais qui ne sait pas forcément écrire, certes ! ). Juste 2 conseils :
– réduire la taille de tes articles postés sur ce site, pour aller à l’essentiel (au regard du lecteur)
– mettre des phrases de relances ou d’accroche entre les § en guise d’entrée de lecture pour ceux qui voudraient picorer l’info sans tout lire…
sinon, je suis d’accord avec toi, je trouve ce film intéressant même si je ne suis pas fan du genre, pour les interrogations qu’il suscite et les interprétations multiples possibles. Une non-fin, un non-début, ça fait toujours réagir ;)
Par contre d’un point de vue très perso je me suis sentie oppressée par le fait de plonger dans la communauté juive en mode 24/24, sans compter tous les malheurs qui arrivent au héros qui rajoutent à ce sentiment ! (je suis contre le sectarisme ou les communautés en vase-clos). Résultat : l’impression d’avoir été enfermée pendant 1h45 dans un bocal qu’on a secoué dans tous les sens ? Brisé, pas brisé ? Accepte le mystère… ;)
bien sûr je n’ai pas appliqué mes propres conseils à mon commentaire, cela aura été trop facile ! LOOOOLL
Ouaip… je me rends bien compte que mes articles sont trop longs et que du coup, une bonne partie des gens qui tombent dessus les zappent simplement. Mais en même temps, je ne vois pas comment faire plus court si je veux dire tout ce que j’ai à dire… donc tant pis, au pire je sais que je n’écris que pour moi, et à la base quand j’étais sur mon blog tout seul, c’était la seule visée donc c’est pas très grave. Je vais quand même essayer d’utiliser ta technique de l’intertitre pour le lecteur Internet qui lit en diagonale ;)