La diplomatie de la magie

Après un brillantissime article sur la diplomatie du panda il y a quelques mois, je partage aujourd’hui avec vous une anecdote historique concernant Jean-Eugène Robert-Houdin, un célèbre prestidigitateur français à ne pas confondre avec Harry Houdini, un de ses confrères américain, né en 1874 et décédé en 1926 (et qui prit ce nom de scène en l’honneur d’Houdin).


Jean-Eugène Robert est né à Blois en 1805, d’un père horloger. Il se marie avec la fille d’un autre horloger, Cécile Houdin, dont il ajoutera le nom au sien avec un trait d’union mais ne prendra pas la suite de son père ; amateur de mécanismes ingénieux, il deviendra un célèbre illusionniste connu dans toute l’Europe, enchaînant des représentations en Angleterre, en Allemagne, en Belgique, etc.


Je vous passerai les détails de sa carrière, mais sachez qu’il révolutionna le monde de la magie et qu’il fut également un scientifique d’avant-garde, inventeur de l’iridoscope, de l’interrupteur de courant, ou de l’ampoule à filament. La maison qu’il achète en 1854 est surnommée « l’Abbaye de l’attrape », car c’est une « maison intelligente », où, grâce aux miracles de l’électricité, les portes s’ouvrent toutes seules devant les visiteurs qui peuvent également admirer des automates dans le jardin…


En 1854-55, justement, Jean-Eugène Robert-Houdin a 49 ans et goûte une retraite possible près de Blois auprès de sa seconde épouse. Cette même année, il reçoit une lettre du chef du bureau politique à Alger, le colonel de Neveu, le priant de se rendre en Algérie pour donner des représentations devant les principaux chefs de tribu. Ce dernier compte sur le magicien pour mener auprès des Arabes une propagande psychologique destinée à réduire l’influence des marabouts et autres chamans, plutôt hostiles à la présence des colons.


Il commence par refuser mais relancé en 1856, il finit par accepter :

« À bout d’arguments sérieux, et bien qu’il m’en coûtât de quitter ma retraite, je me décidai à partir, car j’étais fier, moi, simple artiste, de pouvoir rendre un service à mon pays » (Robert-Houdin, Confidences d’un prestidigitateur, Stock, 1995 ; même source pour les autres citations)

D’emblée il est persuadé que les marabouts et les agitateurs qui se disent inspirés par le Prophète ne sont que des illusionnistes de bas étage ; selon lui, « ils parviennent à enflammer le fanatisme de leurs coreligionnaires à l’aide de tours de passe-passe aussi primitifs que les spectateurs devant lesquels ils sont présentés« .

Pendant deux mois, Robert-Houdin va multiplier les représentations dans toute l’Algérie et à chaque fois, la magie opère (au sens propre) : d’abord effrayés, les Arabes s’enfuient en évoquant le diable mais sont rassurés par les interprètes, qui leur font comprendre qu’il s’agit de passe-passe et non de sorcellerie. La peur laisse place à l’émerveillement et au doute quant aux prétendus pouvoirs des magiciens et autres sorciers locaux. Le « grand marabout blanc » se voit même offrir un poème calligraphié en deux langues :

« À un marchand, on donne de l’or ; à un guerrier, on offre des armes; à toi, nous te présentons un témoignage d’admiration que tu pourras léguer à tes enfants ».

Durant son périple, Robert-Houdin se fait fort de dévoiler les trucs des tours de ses confrères algériens afin de mettre à mal leur influence sur des populations facilement impressionnables, ce qui lui vaudra quelques problèmes (notamment un duel, dont il sortit victorieux en truquant les balles…).

La mission de Robert-Houdin rencontra sur le moment un succès éclatant, que les spectateurs crurent qu’il possédait des pouvoirs surnaturels supérieurs, ou qu’ils se rendirent compte grâce à ses révélations de la vraie nature de la magie. Mais visiblement les contestations, notamment des kabyles, étaient plus profondes que ce qu’en pensaient les occidentaux et Robert-Houdin lui-même, car quelques années après cette épopée algérienne, les troubles reprirent de plus belle.


Le souvenir de Robert-Houdin est certes resté présent en France (une Maison de la Magie qui lui est consacrée a été ouverte à Blois en 1998), mais de cette aventure algérienne il ne reste guère plus que cette intéressante anecdote.




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